6.2.16

Episode 92: La baie maternelle


Le ciel était d'un bleu magnifique, et Azalée ne se lassait pas de l'observer. Un nuage passait parfois dans cette immensité, mais il ne restait jamais bien longtemps, et poursuivait sa course par delà les océans. La pluie et la tempête étaient terminées depuis plusieurs jours, et une bonne odeur forestière flottait dans les airs.

Azalée avait réussi à s'installer confortablement dans la maison en ruine, même si de nombreux travaux étaient encore à prévoir. En prévision des jours à venir, elle avait commencé à planter quelques fruits et plusieurs graines. Ses réserves diminuaient de jours en jours, et la terre semblait parfaitement fertile pour démarrer un petit potager. Il fallait qu'elle pense à son avenir, cela devenait plus que nécessaire maintenant qu'elle avait trouvé un endroit où s'établir.



Elle gardait toujours quelques fruits frais sur elle, et grignotait tout au long de la journée. Cela lui permettait de ne pas faire de trop gros repas, et de préserver ses plus grandes réserves de nourriture. Si le ciel était bleu et qu'il faisait chaud, elle avait vu à quel point la météo pouvait se montrer capricieuse: les pluies torrentielles pouvaient tout aussi bien détruire ses récoltes qu'une brusque chute de température.

Elle croqua à pleines dents dans une poire sauvage, juteuse et tendre. Elle essuya quelques gouttes qui coulaient sur son menton, et cracha les pépins à terre. La nature se chargerait de les fertiliser et de les faire pousser, et dans quelques temps peut-être, un ou deux arbres auraient poussé, donnant à leur tour des fruits.


En entendant des pleurs à l'intérieur de sa maison de fortune, l'adolescente rentra et se dirigea vers la pièce d'où venaient les cris. Elle avait dû construire de quoi accueillir sa progéniture, qui avait rapidement montré le bout de son nez. Elle était heureuse de savoir qu'à présent, elle n'était plus seule. Le temps avait commencé à lui sembler bien terne et morne, sans personne à qui raconter ses journées.

Elle avait fait un peu de ménage dans la pièce principale, histoire de se dire que son hygiène de vie n'était pas des plus mauvaises. Il fallait cependant remplacer les planches de parquet, qui étaient pour la plupart pourries, et les murs n'étaient pas non plus en bon état. Heureusement, le toit semblait solide, et il l'abritait des pluies nocturnes.


L'enfant s'agitait dans son berceau de bois, et sa mère se pencha au-dessus de lui. Dès qu'il vit son visage, il cessa de pleurer et lui offrit ses plus beaux gazouillis.

"Alors mon chéri, tu avais peur d'être tout seul? Tu sais bien que je ne suis jamais loin! Maman ne t'abandonnera pas... Qui va s'occuper du jardin si je ne le fais pas? Tu es encore bien trop petit pour ça!"

Odin était un petit garçon qui était né en pleine forme. Malgré son très jeune âge, c'était déjà un grand bavard, qui essayait de se faire entendre par tous les moyens.

Azalée le reposa dans son berceau, après s'être assurée qu'il n'avait pas faim.


Non loin de lui, il y avait un deuxième enfant, une petite fille: c'était Freya, la jumelle d'Odin.

Azalée avait été loin de se douter que son ventre abritait deux enfants. Il ne lui avait pas semblé particulièrement gros, et elle avait compris pourquoi en découvrant la petite taille de ses deux enfants. Cependant, elle avait tout de suite compris que quelque chose était différent lorsqu'elle avait commencé à accoucher.

Elle n'arrivait toujours pas à comprendre comment elle avait pu faire en sorte que tout se passe bien, étant donné qu'elle s'était trouvé seule dans un état d'extrême faiblesse, mais elle était forcée de constater qu'ils étaient tous les deux en bonne santé, et elle aussi. A eux trois, ils allaient pouvoir former une belle petite famille.


La maison en ruine avait un étage, dans lequel elle ne s'était rendue qu'une seule fois. Les herbes sauvages y étaient encore plus présentes qu'au rez-de-chaussée, certainement en raison de la luminosité qui y était plus forte. L'escalier ne semblait pas si endommagé que ça, mais elle avait quand même des doutes quant aux murs.

Elle n'avait de toute façon pas besoin de plus d'espace que ce que le rez de chaussée lui offrait... Du moins, pas pour le moment. Elle aurait tout le temps pour retaper la maison dans laquelle elle se trouvait.

Elle se demandait toujours qui avait bien pu habiter par ici avant elle. Depuis qu'elle avait accouché, elle n'avait vu personne qui puisse avoir construit cette maison. Il n'y avait pas non plus de corps, ni d'autres traces de vie humaine.


Il commençait à faire plus sombre à l'intérieur de la maison. Elle avait essayé d'installer quelques torches, mais elles étaient pour le moment bien insuffisantes pour éclairer correctement la pièce principale.

Elle s'assura que Odin et Freya dormaient paisiblement, et décida d'aller prendre une douche. A quelques pas de la maison, il y avait une source d'eau claire. Après une inspection minutieuse, elle avait découvert qu'il s'agissait d'eau douce: c'était donc l'endroit idéal pour se laver et faire des réserves d'eau. La température était plutôt tiède quand le soleil brillait la journée, elle n'avait donc pas à se plaindre de prendre des douches froides.


L'endroit semblait paradisiaque. Des clairières abritant des palmiers et des cocotiers se dispersaient tout autour de la maison en ruines, et Azalée était impatiente de pouvoir partir en exploration. Pour le moment, elle préférait ne pas s'éloigner trop de la maison. Les enfants avaient besoin d'elle et ne pouvaient pas rester seuls trop longtemps.

De plus, elle n'avait pas terminé ses travaux de sécurité: pour le moment, n'importe quelle bête sauvage pouvait entrer et saccager l'intérieur. Il fallait rester prudent, on ne pouvait pas être à l'abri d'une attaque de bête féroce.

Elle devait donc se contenter de regarder le paysage, en imaginant les aventures qui l'attendaient.


Elle avait essayé de rendre la maison un peu plus chaleureuse. Elle avait accroché plusieurs de ses toiles aux murs, une vieille carte au trésor qui était dans sa famille depuis des générations, et sur la petite table en bois qu'elle avait fabriquée, divers objets. Près d'elle reposait aussi la harpe de Târâ. Kâli lui avait permis de l'emporter, c'était le seul objet de sa mère qu'elle ait jamais possédé. Ainsi, elle avait l'impression qu'elle ne l'avait jamais vraiment quittée.

Elle se coucha tôt, ses journées étaient épuisantes: ce n'était déjà pas facile de s'occuper d'un enfant, alors de deux... Elle espérait que les jours à venir se passeraient bien.

Elle se retourna dans son lit, et dirigea son regard vers la fenêtre: de là, elle pouvait voir au-dehors, et observer le ciel étoilé qui l'avait guidée jusqu'ici.


L'île était vraiment magnifique, du peu qu'elle avait vu... Elle se demandait toujours qui avait bien pu construire la maison en ruines. Le saurait-elle un jour? Elle ne pouvait que lui en être reconnaissant de toutes façons. Sans cette maison, elle n'aurait rien eu pour abriter ses petits. Avec son gros ventre, elle n'aurait peut-être pas pu construire son propre abri.

Là, ils étaient tous ensemble, à l'abri du froid et de la pluie. Elle n'était pas certaine que le froid vienne les envahir, elle n'avait pour le moment observer que pluie et vent. Mais la tempête était effroyable sur cette île, et quelque chose lui disait que le jour où elle avait débarqué, la tempête venait tout juste de se terminer...

Elle espérait ne pas avoir à subir l'ouragan en pleine puissance.


Les nuits étaient calmes. Elle n'entendait pas beaucoup Ni Odin, ni Freya. C'était deux beaux bébés gentils et silencieux, qui passaient leurs nuits à dormir. C'était la journée qu'ils devenaient plus difficiles à gérer: Odin pleurait pour attirer l'attention de sa mère et quémander quelques jeux, et Freya se mettait à son tour à baragouiner quand elle voyait que sa mère passait trop de temps avec son frère.

Azalée les aimait tous les deux autant l'un que l'autre. En y réfléchissant bien, évidemment qu'elle était triste de songer qu'ils ne connaîtraient jamais leur père. Mais après tout, ils étaient heureux tous les trois... Ils n'avaient pas besoin de Joss. Il avait décidé de partir, et elle avait respecté et accepté sa décision. C'était son choix de poursuivre sa vie loin d'eux, même s'il ne s'était sans doute pas douté de la présence des deux enfants.


C'était souvent sur ce genre de pensées que l'adolescente sombrait dans un profond sommeil. Elle ne se réveillait qu'aux premières lueurs de l'aube, quand le soleil déposait ses premiers rayons sur son visage.

Les couleurs du ciel étaient belles, toujours très douces et jamais agressives. C'était un vrai délice de pouvoir s'éveiller sur une île aussi sauvage que celle-là: même dans ses rêves les plus fous, elle n'avait jamais pensé pouvoir réaliser une telle chose. Qu'ils étaient loin les petits-déjeuners de Ziwa Bonde! Le village et ses habitants, l'école et ses élèves, les zèbres et les autres animaux... Il n'y avait plus rien de tout cela à présent.

C'était un tout nouvel endroit qui s'offrait à elle.


Quand la lune se couchait et prenait congés, il lui arrivait de repenser à sa famille. Comment se portaient-ils?

Est-ce que Kâli était triste de la savoir si loin d'elle...? C'était bien sûr difficile de n'avoir aucune nouvelle l'une de l'autre. Mais c'était la vie. Sa mère n'avait pas voulu partir avec elle... Elle ne pouvait pas quitter Kairos, quand on savait tout ce qu'ils avaient traversé comme épreuves tous les deux. Azalée ne lui en voulait pas le moins du monde, même si parfois, elle souhaitait l'avoir à ses côtés.

Et Cosmos? S'était-il trouvé une amie, quelqu'un avec qui partagé sa vie? Que penserait-il s'il savait que sa cousine était déjà mère de deux enfants?


Lorsqu'elle fut tout à fait réveillée, douchée puis habillée, elle décida de consacrer cette journée à améliorer la maison. Il était grand temps de réparer les planches de parquet, et de construire de nouveaux meubles: un garde-manger ne serait pas de trop, une table et quelques chaises non plus.

Elle fit quelques pas en direction de la forêt. Il fallait choisir un arbre qui ne serait pas trop difficile à ramener à la maison, et qu'elle pourrait couper et façonner sans trop de difficultés non plus.

"Cet arbre serait sans doute parfait..." se dit-elle devant un jeune sapin.


Quand enfin elle réussit à traîner le gros tronc de l'arbre jusqu'aux pieds de la maison, elle entendit des pleurs provenir des ruines. Elle abandonna donc son travail pour se rendre au chevet de la petite Freya qui, dans un drôle de hoquet, pleurait de toutes ses forces.

"Eh ben alors ma petite, qu'est-ce qui t'arrive?"

La petite fille avait faim, et Azalée se dépêcha de la nourrir. Dès sa naissance, elle avait remarqué que Freya était une vraie gloutonne: elle était toujours en train de manger, et quand elle ne mangeait pas, elle réclamait souvent. Sa mère essayait de de réduire un peu ses rations, mais d'un autre côté, elle se disait qu'un si petit bébé ne pouvait pas manger simplement par plaisir... Elle lui donnait donc autant de lait qu'elle le pouvait.


Puis ce fut au tour de Odin de réclamer de l'attention. La jeune fille sut alors qu'elle n'arriverait pas à faire quelque chose de plus de sa journée. Elle essaya de cacher le tronc qu'elle avait débité en plusieurs morceaux, afin qu'il ne prenne pas l'humidité: du bois humide était la garantie d'insectes nuisibles.

Elle étala une serviette sur le sol, et s'allongea. Elle pouvait bien s'octroyer une sieste en plein soleil... S'occuper des enfants n'était pas de tout repos. Elle se sentait pourtant épanouie et bien dans sa peau, elle ne pouvait pas imaginer une vie meilleure que celle-là. Elle n'aurait décidément jamais pu rester à Ziwa Bonde et être heureuse, cela lui paraissait complètement impossible à présent.


La vie suivait paisiblement son cours. De jeune fille, Azalée passa à jeune femme en pleine possession de son corps. Ses vêtements étaient devenus trop petits pour elle, et avec une infinie patience, elle s'était fabriqué de nouveaux vêtements. Elle s'était confectionné du fil à partir de feuilles de bananiers, et des aiguilles dans une bûche de bois très sec.

Ainsi, elle avait pu rafistoler et rénover de vieux draps trouvés dans un coin de la maison. Elle avait essayé de coudre quelque chose qui soit pratique, avec quoi elle aurait pu continuer son jardinage sans encombre, et allaiter les enfants sans être obligée de se battre pour retirer son haut.


Malgré ses nuits plutôt pleines, Azalée passait une partie de l'après-midi à faire la sieste: ce n'était pas facile de devoir s'occuper et des enfants, et de la maison. La poussière et la saleté s'accumulaient rapidement dans cette demeure aux allures de cabane à sorcière, et elle devait dépenser une énergie folle pour que les jumeaux puissent grandir en toute sérénité.

Il était donc bien normal qu'elle veuille se reposer, c'était d'ailleurs indispensable si elle ne voulait pas tomber de fatigue au beau milieu de la journée. Elle espérait que la fatigue passe rapidement lorsque les jumeaux grandiraient, et qu'ils deviendraient plus autonomes.


De plus en plus impatiente de partir à l'aventure, il lui arrivait de s'éloigner chaque jour un peu plus de la maison. Elle commençait à en avoir assez de devoir rester cloîtrer dans les ruines, même si elle les appréciait énormément. Elle n'était pas faite pour rester toute la journée au même endroit...

Si encore, il n'y avait eu qu'un bébé, elle aurait pu l'emmener avec elle. Mais deux?

Lasse, elle contemplait le petit bras de mer qui pénétrait à l'intérieur des terres, en se demandant où il pouvait bien conduire, quelle était la superficie de l'île, et ce qu'elle pourrait bien y trouver d'autre. Les ruines étaient-elles le seul bâtiment qui se trouvait ici?


Il fallait prendre son mal en patience.

Et la seule chose qu'elle savait faire pour passer le temps et attendre, c'était peindre. Elle avait reconstruit un chevalet de taille convenable, et il lui suffisait de profiter de la sieste des petits pour laisser aller sa créativité. Il n'était pas question pour elle d'abandonner la peinture, bien au contraire... Elle voulait montrer aux enfants le visage de leur grand-mère, leur raconter au travers de ses peintures l'histoire de leur famille toute entière...

1 commentaire:

  1. Cette petite famille est adorable, au moins ça fait un peu de vie deux enfants ! J'ai hâte de les voir grandir et d'en découvrir plus de l'île !

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