23.7.16

Episode 142: L'électron libre


Vitae avait pris la décision de se couper les cheveux, lorsqu'on lui avait annoncé qu'elle avait terminé sa phase d'éducation, et que son diplôme était dans sa poche. Elle voulait prendre un nouveau départ, et même si son adolescence avait été plutôt chaotique, elle espérait que la suite de sa vie le soit moins. Elle avait donc dit adieu à ses jolies petites boucles, et avait opté pour une coiffure beaucoup plus sage, qui ressemblait assez à celle que pouvait porter Arwen.

Bien entendu, elle n'avait pas renoncé à ses vêtements voyants. Elle continuait d'adorer la couleur, et il n'était pas question pour elle de ne porter que du bleu. Le rose était sa couleur favorite, pourquoi s'en priver?

"Papas, je sors faire un tour!"

Elle referma la porte derrière elle et s'en aller vers la piscine. Elle avait hâte de retrouver Julian une nouvelle fois, ils étaient devenus inséparables et ne se quittaient plus.


Quand elle arriva aux abords du bassin, Julian lui fit immédiatement signe de la main: il était déjà arrivé et l'attendait depuis un moment.

"Je suis en retard? demanda-t-elle en enfilant son maillot de bains.
-Juste un peu! Mais je te pardonne, parce que je sais bien que tu n'as jamais été ponctuelle.
-Vraiment désolée! Tu vas bien?
-Parfaitement, rassure-toi! Devine quoi?
-Quoi donc?"

Il souriait et semblait déborder de joie, et la jeune femme sentit son coeur s'emballer.

"Je vais bientôt quitter la maison, j'ai trouvé un stage dans une petite boutique qui accepte de me prendre!
-Oh c'est pas vrai?! C'est génial!
-Ça tu l'as dit! Et la gérante a été super sympa, elle m'a dit que si un jour je décidais de servir l'île en fondant une famille, elle ne m'en tiendrait pas rigueur!"


Julian s'assit au bord de la piscine, les jambes dans l'eau pour profiter de la fraîcheur du bassin, et Vitae ne tarda pas à prendre place à ses côtés.

"Je suis super heureuse pour toi! Il était temps tu ne crois pas?
-Carrément. C'est mon père qui n'est pas très content, il m'a fait toute une scène comme quoi je n'avais pas le droit de quitter la maison comme ça, mais... Il ne peut pas m'en empêcher. Je suis adulte, je peux faire ce qui me plaît."

Un sourire de béatitude flottait sur son visage, et la jeune femme ne put s'empêcher de rire.

"Toi alors! Tu as une belle vie qui s'annonce devant toi.
-Il faut croire que oui! Et toi alors? Qu'est-ce que tu vas faire?
-Oh tu sais, moi..."


Elle regarda un moment l'horizon avant de lui répondre.

"Moi, je suis bien chez mes parents. On a toujours vécu heureux tous les droits, et je ne vois pas vraiment de raisons qui me pousseraient à partir de chez moi.
-Pas de famille en vue alors?
-Non, surtout pas! J'aime être libre tu sais, une famille, c'est vraiment trop contraignant.
-Tu as un job en vue alors, j'imagine?"

Vitae se mordit les lèvres.

"A vrai dire... non plus. Je n'ai pas envie d'aller je ne sais où, faire un travail qui ne me plairait pas. Je veux prendre mon temps, et pour le moment, tout ce dont j'ai envie, c'est de profiter de la vie et de m'amuser."

Julian haussa un sourcil, tandis qu'elle s'avançait vers le plongeoir.

"Je ne savais pas que cette possibilité existait."


"Elle n'existe pas, répliqua-t-elle avant de plonger. Je viens juste de l'inventer et de me l'approprier."

Elle fit quelques brasses avant de le rejoindre, et il ne fit pas une seule remarque. Si c'était ce qu'elle avait décidé pour sa propre vie, alors il n'allait pas la critiquer. Il lui semblait que c'était de son bon droit de vivre ainsi... Quand bien même ce n'était pas correct aux yeux des autres.

Il l'admirait pour ça: elle n'hésitait jamais à mettre ses propres opinions en avant, ainsi que ses décisions, et ce depuis qu'ils étaient adolescents. Elle n'avait pas peur des représailles.

"Alors, tu es de sortie ce soir? demanda-t-il.
-Effectivement. Matys m'a invitée à manger, je pense qu'on va passer un bon moment!
-Super! Pour ma part, je dois commencer à emballer mes affaires dans les cartons. Je n'en ai pas beaucoup, mais quelques unes quand même!
-Bon courage alors. Je passerai t'aider quand je le pourrais!"


Puis Vitae rentra chez elle, histoire de se laver les cheveux et d'aborder une coupe raisonnable pour son rendez-vous. Cela n'avait rien d'un rendez-vous amoureux, mais ce n'était pas une raison pour sortir avec un balai à la place des cheveux.

Quand elle arriva près de sa maison, elle le vit sortir et fermer derrière lui.

"Ah, tu es là! dit-il en guise de bonjour.
-Comme tu peux le voir! Je suis fin prête, mais quelque chose me dit que nous n'allons pas rester ici ce soir.
-En effet, je t'emmène au restaurant!
-Oh, tu n'aurais pas du!
-Ça me fait plaisir. Et puis, je ne suis pas très fort en cuisine, les choses auraient certainement tourné à la catastrophe. J'ai préféré être prudent.
-Si tu le dis, je veux bien te croire!"

Ils rirent ensemble, puis marchèrent côte à côte jusqu'au restaurant.


On leur assigna presque immédiatement un siège, et leurs commandes arrivèrent très rapidement. Ils étaient venus tôt, si bien que les serveurs pouvaient entièrement s'occuper d'eux.

"Alors, cette entrée dans la vie adulte, comment ça se passe? demanda Matys.
-Très bien, merci!
-Adieu les bancs d'école!
-Et j'en suis tellement soulagée! C'était vraiment contraignant de devoir me lever tous les matins pour y aller, tu n'imagines pas... J'ai fait beaucoup d'efforts pour mes parents, mais il était temps que ça s'arrête.
-Et ton cousin? Ça se passe bien pour lui?
-Il m'a dit qu'il avait trouvé un petit boulot, de quoi quitter la maison. Je suis heureuse pour lui, il mérite mieux que ce qu'il y a chez lui.
-C'est clair, je n'aurais pas aimé être à sa place.
-Personne n'aurait aimé ça, j'imagine."


Marys reposa ses couverts, avant de lui poser une question.

"Et toi alors? J'imagine que si tu en avais déjà marre de l'école, tu ne vas pas poursuivre dans la branche des études.
-Non, tu as raison. Même si je le voulais, je ne crois pas que je pourrais. Je veux dire, notre famille a acquis une telle réputation ces dernières années... Personne ne voudrait de moi.
-Alors.... tu vas fonder un foyer? demanda-t-il avec détachement.
-Oh ça, non plus! répondit-elle avec convictions.
-Comment ça?
-Je n'ai pas non plus envie d'avoir une famille. Je ne veux pas avoir de contraintes. Travailler, c'est devoir se lever tous les jours pour se présenter à son patron, mais avoir une famille, c'est aussi rester à la maison, s'occuper du ménage et des enfants...
-Heureusement, tu aurais un mari pour t'aider dans tout ça, objecta-t-il.
-Certes, mais... Je ne me vois pas là-dedans. Avoir une famille c'est trop contraignant, et moi, je veux avoir une vie faite de liberté."


"Je vois..."

Matys se tut tout à coup, et ils terminèrent leur assiette en silence. Quand on leur proposa un dessert, ils refusèrent tous les deux, et le jeune homme paya l'addition, avant qu'ils ne quittent la table.

"Matys...?
-Oui?
-Tu aurais... quelque chose à me dire?"

Vitae avait bien vu que quelque chose était arrivé. Depuis qu'elle lui avait dit qu'elle ne voulait ni travail, ni famille, il s'était renfermé sur lui-même et ne lui adressait quasiment plus la parole.

"Que voudrais-tu que j'ai à te dire?
-Je ne sais pas... Je vois bien que j'ai dit quelque chose de travers, tu pourrais au moins m'expliquer ce dont il s'agit."

Il secoua la tête de gauche à droite.

"Ce n'est pas toi, c'est moi."

Elle lui adressa un regard qui signifiait "Peux-tu m'en dire plus?".


Il soupira. Il ne savait pas par quoi commencer, et il aurait peut-être mieux fait de se taire, mais il était trop tard.

"Rien... C'est juste que... Je pensais... Je pensais que tu aurais voulu une famille.
-Mais j'ai déjà une famille. Mes parents font partie de ma famille, et puis il y a Julian aussi. Je ne suis pas seule, si c'est ce qui t'inquiète.
-Mais tu ne projettes pas de te marier, ni d'avoir des enfants.
-Non mais tu sais, ce n'est pas pour autant que je serai malheureuse ou que je..."

Elle ne termina pas sa phrase en voyant le regard de tristesse que lui lançait son ami.

"Oh... Mais tu n'es pas sérieux quand même?
-Je crains que si."

Elle ne put s'empêcher de le serrer dans ses bras, avant de poursuivre.


"Mais je croyais...
-Que croyais-tu donc?
-Qu'on était amis.
-Nous sommes des amis Vitae. Et j'ai toujours fait en sorte que nous le soyons, parce que tu étais beaucoup trop jeune pour penser à ça, et pour avoir envie de fonder une famille...
-Mais ton travail? Je croyais que ce que tu voulais, c'était travailler.
-Je le pensais aussi, et puis nous nous sommes rencontrer. Je n'aurais aucun mal à le quitter si jamais tu choisissais de..."

La jeune femme posa une main sur sa bouche. Elle ne savait pas quoi dire, elle ne s'était pas attendue à une telle annonce.

"Oh je... Je suis vraiment désolée...
-Il ne faut pas. C'est ton choix et je le comprends, je le respecterai..."

Elle lui adressa un sourire triste.

"Vraiment, je..."


"N'en dis pas plus. Vraiment, tu risquerais de me mettre encore plus mal à l'aise.
-Si je m'étais douté un seul instant...
-Je sais. Et c'est pour ça que j'ai préféré rester discret là-dessus. N'y pensons plus. Faisons comme s'il ne s'était rien passé, et continuons comme avant.
-Mais je... Je ne sais pas si je pourrais le faire! s'exclama-t-elle. Ce que tu me dis là c'est...
-Si tu ne te sens plus capable de rester mon amie, alors... il vaudrait mieux ne plus se voir, dit-il en s'écartant."

Vitae secoua la tête. Elle ne voulait pas renoncer à son ami, il avait toujours été là dans les moments les plus difficiles, et elle voulait qu'il continue d'être à ses côtés.

"Peut-être qu'on devrait réfléchir à tout ça plus en profondeur, dit-elle."

Elle déposa un baiser sur ses lèvres, puis lui tourna le dos afin de rentrer chez elle.


Quand elle se réveilla le lendemain matin, elle ne se sentait pas franchement bien. Elle sentait que son moral était au plus bas, et elle ne savait pas comment faire pour le remonter.

Sa soirée en compagnie de Matys l'avait totalement déstabilisée. Elle ne savait pas quoi faire. Parce qu'une chose était sûre, au fond d'elle: elle ne voulait pas avoir à fonder de famille. Elle ne voulait pas se marier. Jamais. Elle se l'était promis, et elle comptait bien honorer cette promesse. Elle ne souhaitait qu'une seule chose, conserver sa liberté.

Il n'était donc pas question de céder aux avances de qui que ce soit, quand bien même il s'agissait de Matys. Elle s'en voulait de ne pas avoir vu ses sentiments plus tôt. Il avait toujours été gentil avec elle, mais était-ce simplement parce qu'il avait espéré voir se développer une histoire entre eux? Elle n'en était pas sûre.

Après tout, il était prêt à continuer de la voir, comme avant, malgré son refus.


Mais pourquoi l'avait-elle embrassé? Est-ce qu'elle éprouvait quelque chose pour lui?

Non, elle ne le pensait pas. Il lui avait toujours semblé qu'il était une sorte de grand frère pour elle. Elle avait été fille unique, et trouver quelqu'un à qui parler de ses problèmes avait été une chance qu'elle avait saisie. En plus d'être un fabuleux ami, Matys avait su la remettre dans le droit chemin lorsque cela n'allait plus.

Dans ce cas, quelle était la signification de ce baiser? Etait-ce pour le réconforter? Elle avait peur de lui avoir donné de faux espoirs, d'autant plus que s'embrasser hors mariage était une pratique interdite. Elle continuait de transgresser les règles, mais cela n'avait plus aucune importance à ses yeux.

Tout ce qu'elle voulait, c'était comprendre les pensées qui s'agitaient dans sa tête.


Durant le petit-déjeuner, ce fut au tour de ses deux parents de lui poser des questions, et de la faire elle-même se remettre en questions. Le sujet la tourmentait, et elle avait décidé de leur en parler, juste un peu, pour connaître leur réaction.

"Dites, j'aimerais savoir quelque chose...
-Je t'écoute, fit Arwen la bouche pleine.
-Eh bien je me demandais... On est obligé soit de se marier, soit de travailler n'est-ce pas?"

Sera leva un sourcil.

"Je n'emploierai pas le mot obligé à ta place... Non, c'est un choix. Un choix de vie, tu peux choisir ce que tu as envie de faire.
-Vraiment? Tu penses vraiment qu'on a le choix?
-Je ne vois pas où tu veux en venir. Tu moment qu'il y a deux possibilités, oui, moi j'appelle ça un choix!"


La jeune femme sentit son impatience monter.

"Oui, mais si on a envie de ne faire ni l'un ni l'autre?
-Qu'est-ce que tu entends par là?
-Eh bien... Moi je n'ai pas envie de travailler, et je n'ai pas non plus envie de me marier. Voilà tout."

Elle haussa les épaules, l'air de dire que ce qu'on pouvait en penser ne la toucherait pas, mais c'était loin d'être le cas.

Sera et Arwen se regardèrent un moment. La situation était délicate, et ils sentaient qu'ils seraient difficile d'en parler sans blesser personne.

"Mais... Qu'est-ce que tu vas faire de ta vie? demanda Arwen.
-Il n'y a pas que le travail ou l'amour dans la vie, comme vous aimez l'appeler.
-Je...
-Je ne sais pas ce que je voudrais faire. Je veux juste conserver ma liberté, je veux faire ce qui me plaît. Et je sais que dans ce choix-là, rien ne me convient."


"Le choix existe, l'avertit Sera, mais personne n'a dit qu'on pouvait l'éviter. Tu vas devoir faire ce choix Vitae, et annoncer ta décision rapidement. Tu ne peux pas rester comme ça, sans rien faire."

Touchée par la réponse qu'elle avait reçue, la jeune femme se leva et sortit de la maison. Elle avait besoin d'air et de s'aérer, il n'était pas question de rester à l'intérieur où elle étouffait.

Ainsi donc, même ses parents le pensaient: c'était soit le travail, soit le mariage. Il ne semblait pas y avoir d'autres issues. Comment allait-elle faire? Elle ne pouvait pas supporter l'idée de devenir une femme bien rangée. Ce n'était pas une image qui lui correspondait, elle refusait tout simplement de s'y laisser embarquer...

Alors quoi? Qu'allait-elle faire? N'existait-il pas un moyen pour qu'on la laisse tranquille?


Elle s'avança vers le petit bar de la plage, et commanda sa boisson préférée: un cocktail bien fort, dont l'alcool l'aidait toujours à réfléchir.

Elle reprit ensuite place sur son banc, et sirota sa boisson tout en jouissant du soleil qui réchauffait son corps.

Elle ne pouvait pas épouser Matys, qui allait lui laisser sa liberté malgré leur mariage. C'était une mauvaise solution, cela ne pouvait que donner un mariage malheureux. A ses yeux, c'était encore pire que de n'avoir personne: se mettre en couple sans amour était complètement stupide. Et elle ne l'était pas, elle ne pouvait donc pas promettre à son ami de se marier avec elle...

Il comprendrait. Elle ne savait pas s'il le lui pardonnerait, mais il comprendrait.


Elle avala plusieurs gorgées encore de sa boisson.

Puis elle en recommanda un autre. Qu'elle vida aussi sec.

Alors, seulement, une idée commença à  germer dans son esprit. On ne pouvait pas parler d'idée politiquement correcte bien entendu... Certainement pas, et puis ce n'était pas son genre.

Pourtant, cette idée la séduisait. Elle ne savait pas si elle réussirait à la mettre au point, mais... cela ne lui coûtait rien d'essayer.

Au point où sa famille en était, une entorse de plus ne pouvait pas faire de mal.

1 commentaire:

  1. Pfff ! Qu'est-ce qu'elle va encore nous pondre ? Il est mignon Matys, il me plait bien.

    RépondreSupprimer