21.7.16

Episode 141: L'étoile brisée


"Allô? Tout va bien? Oh... Oui, je vois. Ecoute, si tu veux je passe à la maison dans l'après-midi? Mmhm... Je serai discrète. Pas de problèmes. Prends bien soin de toi!"

Vitae raccrocha le téléphone, et elle se tourna vers Arwen.

"Papa, je m'absente cet après-midi.
-Où vas-tu?
-Je vais voir Julian.
-Neven sera chez lui?
-Apparemment oui, mais... Julian a dit qu'il pouvait me faire entrer un peu.
-Fais bien attention à toi, et transmets mes amitiés à Julian.
-Je n'y manquerai pas!"

Elle déposa un baiser sur sa joue avant de se préparer. Julian ne semblait pas passer de bons moments chez lui, et elle souhaitait lui tenir compagnie en ces moments de troubles.


Elle laissa les ondes magnétiques laver sa peau et ses cheveux de toute la saleté, avant de se rhabiller.

Durant son coup de téléphone, il lui avait semblé entendre des cris en arrière-plan. Arwen avait sans doute raison, si Neven était à la maison, elle allait devoir être discrète et polie. Elle ne voulait pas attirer plus d'ennuis à son cousin, déjà que tout semblait être tendu au maximum.

"A quelle heure comptes-tu rentrer? demanda Sera.
-Je ne sais pas... En fin d'après-midi, est-ce que ça te convient?
-C'est parfait."

Il la laissa partir, et la regarda jusqu'à ce qu'elle disparaisse. Elle avait bien changé ses derniers temps, et semblait beaucoup plus sereine et obéissante. Qu'est-ce qui l'avait décidée à se faire plus discrète aux yeux des autres?

Nul ne le savait plus qu'elle-même.


La maison vide, c'était l'occasion pour Arwen d'inviter quelques uns de ses amis. Et justement, Oviri venait tout juste d'arriver.

"Salut! dit-il en lui serrant la main. Ça faisait longtemps...
-Entre, entre! En effet, on ne s'est pas vu depuis un bon moment maintenant. Tu vas bien?
-On ne peut mieux. Ta fille n'est pas là?
-Elle est en balade. Nous allons pouvoir travailler en toute tranquillité.
-Bien."

Oviri acquiesça, et ils entrèrent à l'intérieur, dans la cuisine sombre parce qu'il avait abaissé tous les volets et les rideaux. Rien n'était plus sûr pour être certain de ne pas se faire espionner.

"As-tu les plans que je t'ai demandés? fit Arwen à voix basse.
-Ils sont là... répondit son ami en tirant une liasse de feuilles de son sac."

La révolution était en marche.


De son côté, Vitae était enfin arrivée dans la demeure de son oncle. La maison était étrangement calme pour une fois, alors que l'on entendait souvent des cris en sortir. C'était étrange d'arriver ici et de voir que ce n'était qu'une maison comme les autres.

La jeune fille s'avança, et elle franchit la porte principale, avant de toquer discrètement à la porte, qui, elle le savait, conduisait à la chambre de son cousin.

"Julian...? appela-t-elle tout bas."

Elle tendit des bruits de pas, et il vint lui ouvrir.

"Te voilà! s'exclama-t-il avec un sourire radieux. Je t'attendais!
-Contente de voir que ma visite te fait autant plaisir!
-Qui ne le serait pas? Tu n'es jamais à court de bonne humeur, et c'est ce dont j'ai besoin!"


"Ça ne va pas fort? demanda-t-elle immédiatement.
-Oh, tu sais... Mon père n'est pas de très bonne humeur aujourd'hui.
-Il n'a pas l'air de l'être très souvent, remarqua-t-elle.
-La moindre chose le contrarie, je ne sais pas pourquoi. L'âge, sans doute.
-D'accord ce n'est pas facile de vieillir, mais tout de même! Ce n'est pas une raison pour se comporter comme ça... Il crie souvent, nous l'entendons depuis chez nous. Tu ne peux pas le nier.
-Non, en effet."

Il passa une main dans ses cheveux, puis sourit.

"Alors, qu'est-ce que tu as prévu de me faire faire aujourd'hui?
-J'imagine que tu n'as pas le droit de sortir?
-Je ne préfère pas... si mon père remarque mon absence, il ne sera pas très content.
-Pourquoi tu ne lui parles pas franchement?"


Julian eut un regard interrogateur.

"Lui parler de quoi?
-De ce que tu ressens! Tu n'es plus un enfant, tu as le droit d'aller où tu veux, surtout pendant la journée tu ne crois pas?
-Ce n'est pas aussi simple que ça Vitae.
-Pourquoi pas?
-On voit bien que tu connais mal mon père. Il pourrait vraiment se mettre en colère, et peut-être même me mettre à la porte.
-Tu pourrais venir habiter chez nous si c'était le cas, tu ne serais pas seul.
-Je sais, mais..."

Soudain, Vitae sut quel était le sentiment qu'elle n'arrivait pas à définir chez son cousin.

"Tu as peur de ton père?! s'exclama-t-elle."

Il ouvrit la bouche pour lui répondre, mais aucun son n'en sortit.


Ce fut cet instant précis que choisit Neven pour interrompre la conversation entre les deux adolescents. Il les regarda chacun leur tour, appuyant bien son regard sur son fils, qui détourna rapidement les yeux. Puis, il s'avança vers Vitae, tout en la pointant du doigt.

"Je peux savoir ce que tu fais là toi?
-Euh, je...
-Je lui ai demandé de venir, papa, intervint Julien."

Neven se tourna vers lui, abasourdi.

"Qu'est-ce que je t'avais dit à son sujet? Je ne veux pas que tu la fréquentes! Non mais tu as bien vu les dernières nouvelles! Des parents qui se battent, et qui doivent aller faire un stage de redressement au centre. Je suis désolé, mais ce n'est pas ce que j'appelle une bonne fréquentation! Alors leur fille, elle doit être être tout aussi mal élevée.
-Hé!! s'exclama Vitae. Je ne vous permets pas, comment pouvez-vous dire ça?
-C'est ce que tout le monde pense ici voyons. Alors sors de ma maison."


La jeune fille sentait la colère monter en elle. Elle ne comprenait pas comment on osait lui dire ça, elle qui avait toujours pensé que ses parents étaient exemplaires.

"Et alors, vous vous croyez fort parce que vous avez rejoint l'opinion d'une majorité ignorante et idiote?!
-Je te conseille de ne pas en dire plus.
-Ah oui? Et qui va m'en empêcher? Vos petites convictions à la noix?! La démocratie c'est bien, mais quand elle manipule l'opinion de ses habitants comme chez nous, ça ne vaut pas un clou! Vous vous croyez peut-être supérieur, mais si j'en juge par le bonheur de Julian, alors vous êtes un très mauvais père!
-Qu'est-ce que...
-Regardez-le! Il n'est pas du tout heureux, et ça se voit sur son visage! Moi j'ai la chance d'avoir deux pères qui m'aiment et qui prennent soin de moi, alors que lui, il vous a vous!
-Je ne me soucie que de son bonheur! fulmina-t-il. Maintenant sors d'ici, ou je préviens les autorités.
-Je n'ai pas peur de vous, sachez-le. Si je m'en vais, c'est uniquement pour revenir plus tard."


Elle lui tourna le dos, et fit face à son cousin. Comme elle regrettait de ne pas pouvoir rester plus longtemps! Elle aurait voulu lui apporter quelques instants de plus de bonheur et de joie, des moments pour lesquels il aurait envie de se lever le matin. Elle voyait sur son visage qu'il avait du mal à se lever, qu'il ne trouvait plus l'envie d'avancer. Et cela lui déchirait le coeur, parce qu'elle adorait son cousin, lui qui avait été si souvent là pour elle aussi.

Elle s'avança vers lui, sous le regard désapprobateur de son oncle, et le serra dans ses bras.

"Je suis désolée Julian... souffla-t-elle.
-C'est pas grave.
-J'aurais sans doute du me taire, mais...
-Ce soir... murmura-t-il à son oreille. Rejoins-moi ce soir à la plage, j'aurais un moment pour sortir et te rejoindre..."

Elle hocha imperceptiblement la tête, avant de sortir et de s'en aller chez elle.


"Tu es déjà rentrée? demanda Arwen en la voyant arriver.
-Ouais... On peut pas dire que ça se soit bien passé."

Il referma la porte du salon derrière lui, et vint s'asseoir près de sa fille.

"Tu veux m'en parler?"

Elle haussa les épaules: il ne pouvait rien changer à la situation.

"Je me suis fait virer de chez eux par ton frère. Il avait l'air super énervé de me voir avec Julian.
-Il n'a pas l'air d'aller mieux.
-C'est de pire en pire. Il a même dit que vous étiez des mauvais parents, toi et Sera! C'est n'importe quoi!
-Il ne redeviendra plus comme avant, tu sais. Il faut faire avec et l'accepter.
-Mais il dit des choses si horribles, et Julian en est malheureux! Qu'est-ce qu'on peut faire pour lui?"


Arwen lui prit la main.

"On ne peut rien faire. Je ne suis pas son père, et toi non plus. Nous n'avons aucun droit sur lui.
-Alors on va laisser Julian tout seul dans sa misère?
-Je n'ai pas dit ça. Il faut juste accepter le fait que nous ne sommes pas les bienvenus là-bas... Trouvez d'autres endroits pour vous voir.
-Mais la plupart du temps, Julian n'a même pas le droit de sortir!
-Il sera bientôt assez adulte pour décider tout seul. Ce n'est qu'une question de temps.
-Si tu le dis..."

Vitae n'était absolument pas convaincue. Elle avait l'impression que Neven avait commencé à exercé une sorte d'emprise sur son fils, et qu'il ne serait pas facile de l'en libérer.

"Excuse-moi, l'interrompit son père. J'ai des choses à terminer, tu m'attends là?
-Non, je vais aller faire un tour... s'excusa-t-elle."


Alors qu'il retournait dans le salon, l'adolescente partit sur la plage, là où Julian lui avait donné rendez-vous. Ce n'était pas encore l'heure, mais elle n'avait rien de mieux à faire.

Il y avait tant de pensées dans sa tête, qu'elle ne savait plus très bien où elle en était.

Il était clair que la famille de Julian avait elle aussi ses secrets... Que faisait Airaro? Pourquoi ne défendait-elle pas plus que ça son fils? Où était-elle d'ailleurs, elle ne l'avait pas vue ni entendue depuis plusieurs jours.

Ce n'était pas juste. Julian avait toujours été si gentil, pourquoi son père était devenu aussi horrible?

Dans d'anciens carnets de son père, elle avait trouvé quelques journées qui y étaient relatées. Et Neven avait l'air d'avoir été un frère génial, un homme tolérant et rieur.

Il ne restait plus rien de tout cela aujourd'hui.


Que lui était-il arrivé?

D'après Arwen, il était clair que quelqu'un était intervenu dans ce changement de comportement... Neven n'aurait, selon lui, jamais pu devenir aussi froid et distant.

Est-ce que tout cela avait un rapport avec ce que ses pères fabriquaient en ce moment même dans le salon de leur maison?

Elle n'osait pas demander. Toutes ces choses semblaient être si lourdes, si... noires.

Serait-elle capable d'accepter la vérité? Elle s'était toujours vantée d'être assez grande pour accepter n'importe quoi et d'être assez mature, mais à présent, elle en doutait.


Oviri et les autres étaient partis, et Sera et Arwen avait rapidement fait le ménage, pour effacer des éventuelles traces de leurs activités clandestines.

Sera prit un livre, puis se posa sur le canapé, l'air de rien.

"Quelle séance... soupira Arwen.
-On a bien avancé, tu ne trouves pas?
-Si. Les plans sont à jour, heureusement que Oviri est de notre côté, il nous a tellement aidés!
-Dommage que Emere ne soit pas de la partie, elle aurait pu nous apporter des informations précieuses elle aussi.
-Je sais... Mais vu son poste actuel, je ne crois pas qu'on puisse lui faire confiance. Surtout que...
-Que?
-Qu'elle te déteste. Et ça ne m'étonnerait pas de savoir qu'elle veuille se venger de moi.
-Ne dis pas de sottises!
-Oh tu sais... Quand je croise son regard, parfois, j'ai l'impression... qu'elle veut me voir souffrir."


Enfin, quelqu'un tapota sur l'épaule de la jeune fille. Elle se retourna, et constata qu'il s'agissait bel et bien de son cousin.

"Tu as pu venir! s'écria-t-elle.
-Oui. Mon père pense que je suis allé faire des courses.
-Je vois. Tu n'as pas peur de lui mentir?
-Il ne le saura jamais. Je passerai au magasin avant de retourner chez moi.
-Tu n'as pas été trop... grondé, quand je suis partie?
-Si, mais j'ai l'habitude maintenant.
-Je suis désolée. J'aurais du savoir que c'était une mauvaise idée!
-N'en parlons plus! Maintenant, on sait qu'il faudra se voir ailleurs que chez moi.
-Plus chez moi non plus... il aurait vite fait de venir et puis, mes parents sont très occupés en ce moment.
-Ah oui?
-Je ne sais pas trop ce qu'ils font, mais ça a l'air important, et je n'ai pas le droit de venir voir. Même si j'imagine que ce doit être vraiment important."


Il approuva, et ils s'installèrent face à la mer, étrangement calme ce jour-là.

"Julian, j'ai une question à te poser?
-Laquelle?
-Est-ce que tu es... heureux?
-Heureux?"

L'adolescent se tut et sembla réfléchir pendant un long moment. Sa cousine le guettait, impatiente d'avoir une réponse.

"Je ne sais pas, finit-il par avouer. C'est compliqué en ce moment, surtout à la maison...
-Je m'en doute. Et ça me désole de savoir tout ça. Qu'est-ce que tu comptes faire, quand tu pourras partir de chez toi?
-Je n'en sais rien. Comme tu dois t'en douter, il n'y a personne avec qui je puisse fonder une famille en ce moment, et donc si je décide de poursuivre mes études, je devrais rester chez moi encore un peu."


La situation était plus compliquée que Vitae ne l'avait pensé, et elle ferma les yeux.

"Tu te rends compte! On devrait ouvrir un centre où les célibataires se réuniraient, comme ça, ce serait beaucoup plus facile de trouver un partenaire! expliqua-t-elle à Sera le soir-même.
-Et tu ne trouves pas que ça gâche un peu la magie de l'amour?
-La magie de... l'amour?"

Vitae avait répété cela avec une certaine pointe de dégoût dans la voix.

"Qu'est-ce qu'il y a? demanda son père avec amusement.
-Rien. Mais tu en parles comme si c'était la plus belle chose au monde!
-Eh bien en effet, ma rencontre avec Arwen a été ce qu'il y a de plus beau dans ma vie, alors forcément...
-Mouais."

Elle n'était absolument pas convaincue: pour elle, les mariages servaient avant tout à pouvoir s'assurer une descendance. Cela n'avait rien à voir avec l'amour.


Sera et Arwen étaient épuisés quand ils se couchèrent. La journée avait été rude et bien remplie, ils avaient réussi à accomplir tout ce qu'ils avaient en tête. La prochaine réunion aurait bientôt lieu, il ne s'agissait pas de prendre du retard dans le programme.

"Julian va bien...? demanda Arwen à demi endormi.
-Apparemment oui. Vitae m'a simplement dit qu'il ne savait pas encore quand il pourrait s'en aller de chez lui.
-C'est vraiment triste cette histoire. J'espère qu'il s'en sortira, c'est un brave garçon.
-Je lui aurai bien proposé de vivre chez nous, mais avec Neven qui habite juste à côté...
-Mauvaise idée. Et puis, vu les accusations qu'on porte sur notre dos, ce ne serait pas très bon pour lui non plus."

Ils se serrèrent la main et se turent.

Il leur restait peu de temps pour mettre leur projet à exécution, parce qu'ils savaient tous les deux pertinemment qu'une épée de damoclès flottait au-dessus de leur tête.


Un beau jour, peut-être un matin, alors qu'ils ne s'y attendraient pas, on viendrait les chercher. Et c'en serait terminé d'eux. Personne ne se soucierait de leur disparition, mis à part leur fille.

Et si elle se préoccupait trop de cette affaire, alors, à son tour, il lui arriverait des misères. Ces gens la briseraient, et s'il y avait une chose que ni Sera, ni Arwen ne pouvaient supporter, c'était qu'on leur brise leur petite étoile, leur fille qui comptait tant pour eux.

La pluie recommença à tomber sur l'île, et chacun se coucha sous les couvertures pour ne pas attraper froid.

La météo annonçait des jours sinistres, et chacun semblait en avoir conscience.

4 commentaires:

  1. Yeay, ça a l'air d'avancer leur histoire de révolution, j'ai hâte de voir ça, et de découvrir la vérité sur cette île, j'attends ça depuis si longtemps :')
    Et ça me rend triste pour Neven, il n'est définitivement pas maître de ses pensées, le petit garçon adorable me manque ;_;

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    1. ta patience sera bientôt récompensée XD
      oui je suis triste aussi pour Neven... j'avais pas prévu ça en plus XD

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  2. Effectivement, on ne prévoie pas toujours le déroulement de nos histoires et parfois ça tourne en cacahuète ! :p Bon, on va enfin voir le bout de cette révolution :)

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    1. mes personnages n'en font qu'à leur tête!

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