25.7.16

Episode 143: Détermination


Vitae s'était rendue à la bibliothèque, puis dans la grande salle des informations. Elle avait ressenti le besoin de lire quelques livres, et le journal télévisé lui avait permis de connaître toutes les dernières lois en date.

Elle avait cherché à savoir si ce qu'elle s'apprêtait à faire était illégal, et la réponse était la suivante: oui. Si elle s'engageait dans un tel projet, elle risquait d'avoir des problèmes, et pas des moindres. Pourtant, il y avait des failles dans n'importe quel système, et elle pensait avoir trouvé quelle était la faille dans celui de l'île. Celle qui lui permettrait tout de même de vivre la vie dont elle avait envie.

Elle nota chacune de ces informations dans un petit carnet, puis elle retourna chez elle. Matys avait demandé à la revoir pour le déjeuner, et elle avait accepté. Elle avait bien réfléchi à leur relation, et elle était prête à en parler avec lui.


Il était encore tôt lorsqu'elle était sortie, et en s'asseyant à table, Arwen avait à peine commencé à préparer le petit-déjeuner. Sera poursuivait ses lectures, et étrangement, il semblait lui aussi s'intéresser aux livres législatifs.

"C'est intéressant ce que tu lis?
-Assez ennuyeux je dois dire, mais il y a des choses auxquelles on ne peut pas se soustraire.
-J'aurais une question à te demander à ce sujet.
-Je t'écoute.
-Supposons que... qu'une personne souhaite fonder une famille, mais sans se marier.
-C'est impossible, tu sais bien que les salles de reproduction ne sont accessibles qu'aux personnes mariées.
-Oui, je le sais, mais... Si cette personne arrivait à s'y introduire, crois-tu que quelqu'un le remarquerait?
-Tu n'es pas sérieuse? Tout est noté dans leurs calepins, les gens signent, et puis tous les enfants sont recensés, cette personne se ferait forcément prendre.
-Sauf si elle s'enfuit à temps?"


Sera ouvrit la bouche, mais fut interrompu par Arwen qui apportait le petit-déjeuner.

"Et voilà, des fruits fraîchement découpés avec une omelette... Bon appétit.
-Bon appétit papa!"

La jeune femme évita le regard de Sera, qui essayait de reprendre leur conversation interrompue, seulement, il n'y parvint pas, car elle était bien décidée à ne pas lui faire part de ses projets. Du moins, pas pour le moment.

Elle était en train de débarrasser, lorsque le téléphone sonna. Ce fut Arwen qui décrocha.

"Allô? Oui... Oui, lui-même. Effectivement, je..."

Un silence s'installa avant qu'il ne reprenne ses esprits.

"Je vous remercie... Oui, je ferai passer le message."


Il s'effondra sur une chaise, et se tourna vers Sera et Vitae, qui attendaient, incrédules.

"C'est... c'est terrible, dit-il encore sous le choc. Je... On vient d'appeler pour nous annoncer la mort de Julian."

Il leva les yeux vers sa fille, dont il vit le visage pâlir et se décomposer.

"Q... Quoi?!
-Apparemment, il... c'était un accident... Les autorités m'ont dit qu'il s'était disputé avec son père, et qu'il a quitté la maison, furieux... Il aurait glissé sur le carrelage près de la piscine, et serait mal tombé... Oh je suis vraiment désolé ma puce..."

Il tendit les bras vers elle, mais elle recula et sortit en trombes de la pièce. Elle avait besoin d'air, elle avait l'impression qu'elle allait s'évanouir.

Une fois dehors, elle serra les poings. Quelque chose brûlait dans sa poitrine, et cela lui faisait mal.


Seule face à son chagrin, elle se mit à pleurer, sans pouvoir s'arrêter. Comment était-ce possible? Julian ne pouvait pas être mort, il ne pouvait pas être parti pour toujours! Ils s'étaient toujours si bien entendu depuis leur première rencontre... Ils avaient partagé tan de choses, de secrets et de confidences...

Comment allait-elle faire à présent? A qui pourrait-elle parler sans retenue?

La porte s'ouvrit derrière elle, et Arwen apparut.

"Vitae, je suis vraiment désolée... viens, rentre à l'intérieur, nous pouvons en parler.
-Non!"

Elle lui tourna le dos, et s'enfuit de la maison. Elle ne voulait parler à personne, car nul ne pouvait comprendre la douleur qui s'était emparé d'elle.


Elle avait perdu plus qu'un membre de sa famille, c'était un ami, un frère qui venait de s'en aller. Lui qui avait été si heureux de pouvoir s'en aller de chez lui, voilà que... qu'il ne réaliserait jamais son rêve.

Qu'avait dit Arwen? Qu'il avait claqué la porte de chez lui après une dispute avec son père...? Un frisson parcourut la jeune femme. Non, c'était une pensée trop horrible. Elle ne pouvait cependant pas s'empêcher d'y réfléchir. Elle ne pouvait pas croire à la théorie de l'accident.

Mais c'était impossible... Julian n'avait jamais rien fait pour mériter ça. Il n'avait jamais haussé la voix contre son père. Peut-être s'était-il révolté, mais elle était persuadé que c'était toujours dans le respect de l'autre, ce n'était pas le genre de personne à s'énerver et à crier.

Au loin, elle entendit l'heure sonner, midi approchait. Elle se traîna avec tant de bien que de mal vers son lieu de rendez-vous, et tenta de sécher ses larmes.


Lorsqu'elle arriva, Matys était déjà sur place, et il accourut vers elle lorsqu'il découvrit son visage embué et ses yeux rouges.

"Vitae! Qu'est-ce qui se passe? Tu n'as pas l'air d'aller bien du tout!"

Il la fit asseoir, pendant qu'elle se mouchait à nouveau pour tenter de retrouver son calme.

"C'est... C'est... C'est Julian, il...
-Oui?
-Il est mort! On a appelé ce matin à la maison pour nous l'annoncer!"

Le jeune homme en resta d'abord bouche bée. La nouvelle le surprenait aussi, Julian avait toujours été quelqu'un de calme et en bonne santé.

"Mais qu'est-ce qui s'est passé?
-Apparemment il s'agirait d'un accident, mais..."


"Mais?
-Mais je n'y crois pas du tout! Il s'était disputé avec son père quand il est parti et que c'est arrivé... Tu ne trouves pas ça louche toi?!
-Ecoute, il n'y a aucune preuve...
-Evidemment, ce salaud aura vite fait de toutes les cacher!!
-Tu ne devrais pas t'en prendre à Neven comme ça. Tu sais qu'il a fini par avoir de l'influence, et que... ça pourrait très bien être ton tour, si tu vois ce que je  veux dire.
-Je m'en fiche. Julian avait le droit de vivre lui aussi, on a tous le droit de penser ce qu'on veut!"

Il lui prit la main pour tenter de la calmer.

"Evidemment... mais tu sais comme c'est difficile ici. On a des lois et il faut les respecter. Sinon, personne ne pourrait s'entendre..."

Vitae secoua la tête.

"Ce n'est pas vrai, ce n'est pas à ça que servent nos lois."


Le jeune homme commanda à manger, malgré la tristesse qui avait envahi leurs coeurs, il fallait se remplir l'estomac. Ils mangèrent silencieusement, jusqu'à ce que Vitae reprenne la parole.

"En fait, si j'ai accepté de te revoir aujourd'hui, c'est parce que j'avais quelque chose à te demander, Matys.
-Tout ce que tu veux.
-Tu ne devrais pas t'engager avant de savoir ce que j'ai à dire.
-Eh bien je t'écoute...
-J'ai beaucoup réfléchi, et... et je suis vraiment désolée, mais je ne peux pas me marier avec toi. Ce n'est pas possible, je ne suis pas amoureuse. Moi ce que j'aime, c'est la liberté... Et même si je ne doute pas que tu serais un mari formidable, au bout d'un moment ça ne me conviendrait plus.
-Je vois...
-Cependant, si tu m'aimes  vraiment... Alors je te demande de faire un enfant avec moi.
-Pardon?"

Ses sourcils eurent un mouvement vers le haut, et il s'arrêta de manger, sans comprendre.


"Qu'est-ce que tu veux dire?
-C'est simple non? Viens avec moi dans la salle de reproduction. Je veux que tu sois le père de mon enfant.
-Et un enfant ce n'est pas trop de responsabilités?
-J'ai bien réfléchi, et je ne pense pas qu'un enfant nuira à ma liberté comme le mariage ou le boulot peuvent l'être. Je veux rester seule, je n'ai pas besoin d'être en couple. Je n'ai jamais rien ressenti pour personne, à part de l'affection et de l'amitié je veux dire. Mais je sais aussi que je veux une descendance, et je pense que tu es la seule personne à pouvoir m'aider à réaliser cette envie."

Il secoua la tête.

"C'est impossible, seuls les couples mariés ont le droit de se rendre là-bas. Tu devrais le savoir non?
-Je le sais. Je sais aussi qu'entre midi, les gardes font une pause, et qu'il serait très facile de s'introduire là-bas.
-Tu n'y songes pas! Tomber enceinte sans être mariée, c'est la pire des choses qui pourrait t'arriver!
-Personne ne le saura. Je serai partie bien avant qu'on le découvre, et toi, tu ne risqueras rien non plus."


"Qu'est-ce que tu veux dire par "tu seras partie" ?
-Je... n'ai pas l'intention de rester ici. Plus très longtemps. Je ne sais pas encore comment, mais je m'en irai. Je ne veux pas rester là. Ce n'est pas vraiment ici que je suis née, et ce n'est pas ici non plus que je serai vraiment heureuse. Je le sais.
-Tu ne peux pas partir comme ça... Laisser tes parents seuls, et...
-Arwen et Sera comprendront. Je pense même que si je le leur disais, ils m'appuieraient.
-Mais... et moi? Tu me laisserais seul ici?
-Je suis désolée... Alors, c'est oui?"

Comme il semblait hésiter, la jeune femme se leva de sa chaise et s'avança vers lui, puis elle l'embrassa. Matys bégaya quelques mots incompréhensibles, avant de capituler.

"Bon... C'est d'accord... Je t'aiderai.
-Merci, tu ne peux pas savoir à quel point ce geste me touche!"


"Quand... Quand veux-tu que nous fassions cela?
-Tout de suite.
-Quoi?!
-J'ai dit tout de suite. A cette heure-là, il n'y a personne devant les salles. J'aurai vite fait de voler l'une des clés pour que nous puissions entrer.
-Mais, tu ne veux pas attendre pour réfléchir à tout ça...?
-Non, je ne peux pas. Je sais que mes parents sont suivis et espionnés, et à l'heure qu'il est, peut-être que quelqu'un a entendu notre conversation et est en train de tout rapporter. On ne peut pas attendre, sinon, nous réduisons nos chances de succès. Viens, allons-y."

Elle lui prit la main, et l'emmena dans la partie du centre qui s'occupait de la natalité de l'île.

Comme elle l'avait prédit, il n'y avait personne, et une simple distraction de la part de Matys lui permet d'emprunter la clé qui ouvrait la salle de reproduction.


"Es-tu vraiment sûre de toi? demanda une nouvelle fois le jeune homme.
-Evidemment. C'est toi qui... n'as pas l'air de vouloir le faire."

Elle se planta devant lui et croisa les bras.

"Je ne veux pas que tu regrettes ensuite et que tu m'en veuilles. Soit tu es partant jusqu'au bout, soit on annule tout. Je trouverai bien quelqu'un d'autre pour m'aider..."

Il plongea son regard dans le sien. S'il ne pouvait pas l'avoir, quel autre moyen y avait-il de la posséder, ne serait-ce qu'un peu, qu'en lui permettant d'avoir un enfant? Si elle portait son bébé... Alors quelque part, ils seraient liés pour toujours tous les deux.

"Non. Je veux le faire, lui dit-il.
-Bien. Merci, ajouta-t-elle d'une voix plus douce."


Elle déverrouilla la salle, et ils y entrèrent précipitamment avant que quelqu'un ne remarque leur présence. Vitae referma à clé derrière eux, si bien que personne ne pouvait à présent les interrompre.

Ils se dirigèrent vers l'un des lits, et s'y posèrent calmement. Matys respiraient profondément, il n'arrivait pas à croire qu'il venait de violer plusieurs règles de l'île simplement pour la jeune femme qu'il aimait. Et il s'apprêtait à faire quelque chose d'encore plus terrible. Si quelqu'un le découvrait, ils pouvaient être sûrs qu'on n'allait pas les laisser en vie.

Vitae aussi avait le coeur qui battait vite, mais parce qu'elle sentait l'excitation monter en elle. Elle n'avait pas à renoncer à son désir d'enfant simplement parce qu'elle ne pouvait pas se marier. C'était une loi injuste, et elle était bien décidée à passer outre pour combler son instinct maternel.

Ils s'allongèrent sur le lit, cherchant une position assez confortable pour que tout se passe au mieux.

"Tu sais comment marche cet engin? demanda Matys."


"Oui, répondit-elle. Je me suis documentée avant, qu'est-ce que tu crois.
-Tu as pensé à tout on dirait.
-J'ai tout préparé. On ne se rend pas ici sans savoir où l'on met les pieds... Tu es prêt?
-J'imagine que oui."

Elle appuya sur le bouton de démarrage, et un écran apparut devant elle. Il ne lui restait plus qu'à programmer la machine, et après... son plan serait en marche.

Elle était vraiment désolée de ce qu'elle allait faire pour Matys, parce qu'elle savait qu'elle ne faisait que de se servir de lui, et qu'après... elle n'aurait plus besoin de ses services. Elle n'avait jamais eu l'intention de l'embarquer comme ça dans ses plans, ni de lui dire au revoir par la suite...

Mais la mort de Julian avait tout changé pour elle.


La coque du lit vint les recouvrir lentement, et tout aussi doucement, ils s'endormirent l'un contre l'autre.

Si Vitae s'était endormie sur le dos, à l'aise et confiante, Matys avait préféré lui tourner le dos. Il faisait ça uniquement parce qu'il l'aimait, et qu'il ne pouvait pas aller à l'encontre de ses envies... Elle avait beau être jeune, elle savait ce qu'elle voulait. Elle était prête à tout pour ça, et plutôt que de la laisser aller voir quelqu'un de douteux, il préférait être celui qu'elle utiliserait.

C'était sans doute la seule chose qu'il pouvait encore faire pour la protéger.


Vitae s'étira longuement avant de se réveiller, satisfaite de voir son projet sur le point de se réaliser.

"Tout va bien? demanda-t-elle en se regardant dans le miroir.
-J'imagine que oui, aucune raison pour que ça n'aille pas. Et toi?
-Oui bien sûr. Mes cheveux sont un peu en désordre...
-Comment vas-tu l'appeler?"

Elle se retourna, surprise.

"Je... Je n'en sais rien encore. J'ai bien le temps pour ça, non?"

Il aurait aimé pouvoir donner un nom à cet enfant qu'il risquait de ne pas connaître, mais il n'osait pas lui demander. C'était une chose qu'elle semblait vouloir décider toute seule... Cela faisait partie de cette liberté qu'elle aimait tant.


Ils sortirent discrètement de la pièce, en faisant bien attention à ce que personne ne les voient. Ils firent quelques pas en direction de la sortie, et alors, ils furent certains que personne ne les avaient suivis.

"Tu vois, tout s'est bien passé! lui dit-elle.
-Encore heureux...
-Bien, je vais te laisser alors. Il faut que je retourne chez moi, nous... nous devons aller faire nos adieux à Julian, j'imagine."

Elle lui fit un petit signe de la main et lui tourna le dos, lorsqu'il la rattrapa en prenant son poignet.

"Attends... est-ce que... on se reverra? Est-ce que tu me préviendras lorsque tu sauras pour... l'enfant?"

Elle se détacha délicatement de son emprise.

"Ce bébé sera le mien, Matys. A bientôt."

2 commentaires:

  1. C'est un petit peu égoïste, mais bon, au moins il y aura une nouvelle génération et elle va partir pour une nouvelle aventure !

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    1. égoïste je ne sais pas, après tout, les conditions sont posées dès le début!

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