5.7.16

Episode 133: L'île désséchée


Quand le soleil se levait, sur ce monde d'un autre temps, il colorait le ciel d'un jaune orangé assez agressif pour les yeux. Sans doute était-ce l'effet de la pollution, bien présente de tout côté: ciel, terre, eau, rien ne semblait assez pur pour être sans danger sur la population.

Arwen prit doucement sa fille dans ses bras. Il avait peur de lui faire mal, mais Sera le poussait sans cesse à la serrer contre lui, pour s'habituer à son contact. Elle était si fragile, mais pourtant, elle vivait, elle respirait, et elle leur apportait un bonheur infini. C'était pourquoi ils lui avaient donné le nom de Vitae.

"Bonjour ma puce... dit-il en la posant contre son épaule. Comme tu peux le voir, le soleil est en train de se lever, mais il n'est pas si tôt que ça!"

Le bébé se mit à pleurer, et Arwen jeta un oeil vers son compagnon:

"Je crois qu'elle commence à avoir faim."



"Est-ce que tu veux que je m'en occuper? demanda Sera."

Il tendit les bras, et Arwen lui remit la petite fille qui continuait de pleurer, attendant visiblement qu'on lui donne à manger.

"Tu n'as qu'à l'occuper un instant, je vais aller lui préparer son biberon!
-D'accord. Dépêche-toi, elle n'a pas l'air d'être très patiente cette petite!
-Ah tiens c'est marrant, ça me rappelle toi!"

Il lui fit un clin d'oeil, avant de partir en direction de la cuisine, pour chauffer le biberon de lait. Vitae était bien leur fille, il n'y avait aucun doute là-dessus. Si son caractère semblait correspondre à celui de Sera, quelques mèches de cheveux blonds commençait à pousser sur le haut de son crâne, exactement comme Arwen.


Une fois le biberon prêt, ce dernier le rapporta immédiatement à la Chambre, où ils avaient élu domicile pour un certain temps. Ils ne savaient pas encore comment rentrer chez eux, ni même si c'était une bonne idée pour Vitae, qui était encore toute petite: c'était peut-être trop dangereux pour elle.

"Tu n'as plus besoin de moi? fit-il en voyant Sera donner le biberon à leur fille.
-J'essaierai de la rendormir, une fois qu'elle aura tout bu.
-D'accord. Je vais aller faire un tour alors...
-Où vas-tu?
-J'aimerais trouver une bibliothèque. J'espère que ça existe encore, j'imagine qu'on doit pouvoir y trouver pas mal de choses.
-Appelle-moi si tu as besoin d'aide, on ne sait jamais.
-Ne t'inquiète pas. Je rentre tout de suite après!"


Il sauta sur son overboard, et commença à patrouiller les rues de l'île, jusqu'à ce qu'il se trouve face à un bâtiment dont l'enseigne était un  livre numérique. Il allait devoir trouver son bonheur à l'intérieur.

Il s'agissait également d'une grande tour, et en pénétrant dans le hall d'entrée, il faillit tomber à la renverse tant il y avait de livres. Il n'en avait jamais vus autant dans un même lieu. D'immenses étagères s'élevaient jusqu'au plafond, parfois sur plusieurs étages. Comment allait-il faire pour trouver le rayon qui l'intéressait?

Arwen aperçut alors une machine, sur laquelle un plan était indiqué. Il repéra le rayon des livres historiques, et s'y rendit immédiatement.

Il n'y avait plus qu'à feuilleter les livres, à éplucher les titres et à potasser pour trouver ce qui l'intéressait.


Par chance, il tomba rapidement sur un livre qui pouvait l'intéresser. Il le sortit du rayon, puis s'installa sur un fauteuil avant de commencer sa lecture.

Il s'agissait d'un ouvrage qui traitait de l'histoire et de la fondation de Suvadiva. Dans son époque, de tels livres existaient bien entendu, mais ils restaient très vagues, et Arwen avait parfois l'impression qu'ils étaient censurés, ou légèrement modifiés pour rendre les choses plus belles. Ce qu'il apprit dans ce livre le laissa perplexe: un jeune homme aurait mené de front toute une armée de révolutionnaires pour renverser le gouvernement de l'île, des siècles auparavant. Il portait le nom d'Arwen.

Il se rappela alors la statue du parc, mais il secoua la tête: combien de personnes pouvaient porter le même prénom que lui? Ça n'avait pas de sens. Ce qu'il comprenait encore moins, c'était cette idée de renverser le gouvernement. Quel gouvernement? Les habitants de l'île se gouvernaient eux-même, tout le monde savait ça dès l'entrée en phase d'éducation.

C'était élémentaire.


De son côté, Sera continuait de réfléchir. Pour lui, la vérité semblait plus facile à accepter, parce qu'il avait toujours été un peu plus hermétique aux choses qu'on lui enseignait. Il avait toujours aimé prendre du recul, et savait rester objectif en tout circonstance. Du coup, les éléments qu'ils rassemblaient petit à petit s'assemblaient tel un puzzle, et malgré l'étrange vérité qui venait à eux, il ne perdait pas son sang froid.

Ce n'était de toute façon pas le moment. Maintenant, ils avaient une petit fille dont il fallait s'occuper, et elle demandait beaucoup de soins et d'attention. Il aimait la faire rire, et ce n'était pas en déprimant ou en s'inquiétant qu'il allait lui donner le sourire, au contraire.

Il ouvrit le robinet du lavabo, et régla la température de l'eau sur l'indicateur tiède. C'était l'heure de donner son bain à Vitae, et l'eau ne devait être ni trop chaude, ni trop froide.


Quand elle fut à nouveau propre et endormie, Arwen rentrait tout juste de la bibliothèque.

"Chuut, elle dort, fit Sera en sortant de la Chambre sur la pointe des pieds.
-Parfait. Il faut qu'on parle.
-Allons en bas, il y a un jacuzzi, on sera bien."

Ils descendirent jusqu'au bassin et y entrèrent sans tarder. Le jeune homme blond prit une longue inspiration, avant de commencer à rapporter les informations qu'il avait trouvées.

"Je ne comprends pas... Je ne vois vraiment pas pourquoi est-ce que mon nom revient sans cesse. Une révolution? C'est ridicule! Est-ce que nous ne sommes pas censés être tous heureux? Est-ce que la vie à Suvadiva n'est-elle pas parfaite?
-J'imagine que c'est ce qu'on veut nous faire croire... soupira Sera.
-Qu'est-ce que tu entends par là? Tu n'es pas heureux, toi?
-Si bien sûr, parce que je suis avec toi."


"Mais tout n'est pas aussi beau qu'on veut nous le faire croire.
-Explique-toi.
-Tu n'as jamais pensé que ton frère n'était pas à sa place?
-Que... comment ça, bégaya Arwen.
-Il a toujours aimé faire la fête, déborder du droit chemin, aller à l'encontre des règles... Nous-mêmes, on est loin de respecter tout ce qui nous a été imposé. Rappelle-toi les longs débats entre Oviri et Emere. Tu ne crois pas qu'il y a quelque chose qui cloche? Si vraiment nous nous gouvernions nous-même, alors pourquoi est-ce qu'on n'abolirait pas certaines choses?
-Un exemple?
-Les relations entre hommes et femmes. Je suis sûr qu'on nous ment là-dessus. Le couvre-feu pour les enfants, et cette façon dont les instructeurs nous martèlent que nous sommes les plus heureux... ça ne t'a jamais choqué?
-Maintenant que tu le dis...
-Et puis... il y a les colonies. On dira ce qu'on en voudra, mais personne ne les a jamais vues, et tout ceux qui y sont allés n'en sont jamais revenus."

Sera ferma les yeux, comme si ses pensées étaient douloureuses. Arwen soupira, songeur. Il ne savait pas sur quoi ils étaient tombés, mais cela commençait à l'effrayer.


L'endroit où ils se trouvaient les oppressait petit à petit, et pour se changer les idées, Sera proposa de sortir le soir-même.

"Et Vitae? fit remarquer Arwen. On ne peut pas la laisser seule.
-Il y a un programme de garde d'enfants, à ce que j'ai vu.
-On peut lui faire confiance au moins?
-J'imagine que oui. Les machines n'ont jamais défailli... d'après les manuels de l'école."

Après un dernier câlin et un au revoir à leur fille, les deux hommes, bien habillés, sortirent dehors. Il faisait presque nuit, et ils choisirent rapidement de s'installer dans un bar, qui n'était pas très loin du centre. Au moindre problème, ils pourraient donc rentrer le plus rapidement possible.

"Sera... Tu as vu, encore un robot...
-Mmhm. Ça a l'air d'être courant par ici.
-Je dois t'avouer que ça ne me rassure pas beaucoup, moi."


La musique battait déjà son plein, et comme ils n'avaient jamais si résister à quelques notes de musique, ils s'élancèrent au milieu de la piste de danse, alors que personne encore ne s'y échauffait.

"Pourquoi est-ce que tu as peur comme ça des robots? lui demanda Sera.
-Je ne trouve pas ça très... humain, si tu vois ce que je veux dire.
-Chez nous aussi il y en a pourtant.
-Mais nos robots se limitent à faire ce qu'on leur dit, et ils ne sont pas capables de se mouvoir seuls. Là, je suis pratiquement certain qu'ils ont leur propre conscience... Ça me fait froid dans le dos.
-Les progrès scientifiques ne cesseront jamais.
-Et tu crois que c'est une bonne idée de ne jamais s'arrêter? De vouloir aller toujours plus loin?
-Non, je n'ai jamais dit ça. Seulement, les gens qui sont à la tête de ce type d'activités...
-C'est à se demander si ce qui leur importe, c'est notre santé, ou de savoir qui a le plus de génie."

Sera lui prit la main, et commença à le faire tourner sur lui-même.

"On ne devrait pas penser à tout ça ce soir, dit-il."


"Tu as sans doute raison... Et si tu m'apportais à boire, pour oublier tout ça?
-C'est comme si c'était fait!"

Sera quitta un moment la piste de danse, pour aller commander des boissons. Tout ce qui était proposé à la carte lui était inconnu, aussi piocha-t-il au hasard deux cocktails dont le nom lui plaisait. Lorsqu'il ramena les deux verres, Arwen fit une étrange grimace, les lèvres à peine trempées dans le liquide.

"Mais qu'est-ce que tu as pris?! C'est super fort!
-Le Délice du petit matin... Ce n'est pas bon?
-C'est pas mauvais, mais j'ai l'impression qu'ils ont mis la dose d'alcool là-dedans.
-Alors il vaudrait mieux faire attention, toi qui n'as jamais rien bu... Je ne veux pas te ramener complètement ivre!"

Arwen lui tira la langue, en buvant une gorgée. Une ou deux, cela ne devrait pas lui causer de tort, quand bien même il n'avait pas l'habitude.


Une fois leurs pieds bien usés, ils décidèrent de s'arrêter et de poursuivre leur soirée près de l'une des tables de billard. Ils n'avaient jamais pris le temps de découvrir ce jeu, et c'était l'occasion.

Cependant, Sera se rendit rapidement compte que Arwen n'était pas du tout concentré sur la partie.

"Hého! C'est à ton tour de jouer.
-Hein quoi?!"

Arwen sursauta, en regardant tout autour de lui, l'air hébété.

"Excuse-moi je... je m'étais assoupi.
-Si tu es fatigué, il faut me le dire! On va rentrer, il commence à se faire tard.
-Tu avais l'air de t'amuser, alors je ne voulais pas t'interrompre.
-Ce n'est pas très amusant de jouer avec une loque tu sais!"

Il le prit par les épaules, et le couple rentra, impatient de pouvoir se coucher.


Vitae était un bébé très sage, pour peu que l'on s'occupe d'elle en temps et en heure. Il fallait prévoir à l'avance les moments où elle aurait faim, parce que dès que son ventre était vide, elle pleurait et criait à en devenir rouge, jusqu'à ce que, enfin, elle sente la tétine du biberon contre sa bouche.

Elle n'avait pas un appétit d'oiseau, mais avait besoin de plusieurs repas par jour.

"Sera, le biberon!
-Ce n'est pas encore tout à fait prêt.
-C'est rien, tu vas bientôt pouvoir manger..."

Arwen essayait toujours de la bercer pour la faire patienter, mais elle n'avait que faire de ses chansons et autres câlineries: c'était le biberon ou rien.


Mais quand son appétit était satisfait, elle devenait alors l'enfant le plus doux et le plus charmant qui existait. Elle gazouillait, et ouvrait de plus en plus les yeux, pour adresser des sourires et des petits clins d'oeil à ses parents.

Sera était devenu complètement gaga de sa fille, et Arwen se moquait d'ailleurs de son langage, qui devenait totalement ridicule lorsqu'il s'adressait à Vitae.

"Il va falloir songer à retourner à l'école mon cher!
-Oh le vilain papa! Ne l'écoute pas ma chérie, il est trop méchant! Hein qu'il est trop méchant? Oh ça oui! Oh oui! Vilain vilain!"

Il frotta son visage contre son petit nez, provoquant chez la petite fille mille gazouillis.


Arwen décida de passer la journée du lendemain à faire un peu d'exploration. S'il parvenait à se repérer à l'intérieur de la ville sèche, il avait encore très peu mis les pieds à l'extérieur des fortifications et du barrage. Pourtant, cela lui semblait être un endroit clé, et plus il passerait de temps dans cet endroit, plus il avait de chance de trouver de nouveaux éléments pour résoudre le mystère de l'île.

Plus il apprenait à connaître son île natale, et moins il lui semblait la comprendre. Il avait toujours cru qu'il était né dans le meilleur des endroits, et voilà qu'il doutait. La conversation qu'il avait eue avec Sera ne le quittait plus, elle l'obsédait même, sans qu'il parvienne à y trouver du sens.

Ce qu'il avait connu n'avait-il donc été que mensonges?

Il passa devant le grand lac formé par l'eau, retenue par le barrage, puis emprunta le chemin qui descendait bien en dessous du niveau de la mer.


Tout à l'est de l'île, se trouvait une place un peu aménagée. Les meubles qui s'y trouvaient étaient sales et délabrés, et il n'était pas certain de la solidité des escaliers et du ponton.

Il avait l'impression que cela faisait des années que personne n'était venu par ici. Peut-être que lorsque la mer s'était définitivement retirée, plus personne n'avait trouvé d'intérêt à venir se promener par ici. Il y avait encore très peu de gens qui sortaient des enceintes de l'île. Si on pouvait appeler ça encore une île bien sûr...

Il monta une marche de l'escalier, pour en tester la solidité. Le bois craqua, mais ne semblait pas céder sous son poids, aussi grimpa-t-il tout en haut, près d'un vieux parasol et d'une chaise longue abandonnée.


Il n'avait jamais vu une étendue aussi déserte. Il sentit son coeur se serrer, à la vue de tout ce mélange de sable et de terre, tout était totalement sec. Pourquoi l'eau était-elle partie? Que s'était-il passé pour qu'une sécheresse aussi intense se produise? Il n'avait pas songé à rechercher ce genre d'informations à la bibliothèque, mais il le ferait dès que possible.

Quand il baissa les yeux, il découvrit un vieux bateau échoué. Lui aussi, personne n'en avait plus voulu. Sans la mer, tout était différent. On n'avait plus les mêmes loisirs, on n'allait plus aux mêmes endroits, et inévitablement... on vivait différemment.

Ce constat l'attristait beaucoup. Etait-ce donc bien le futur qui les attendait? S'ils avaient vraiment fait un saut dans le temps pour avoir un enfant, c'était une situation qui allait donc arriver à Suvadiva. Mais dans combien de temps? Quelques semaines? Quelques années? Ou bien plus longtemps encore?


Sera préférait réfléchir en restant au centre. Il avait trouvé un échiquier sur l'une des terrasses latérales, et comme personne ne semblait y passer souvent, il s'y était installé.

En face de lui, le soleil déclinait déjà pour se cacher derrière l'horizon. Comme d'habitude, ce changement provoquait toujours des couleurs vives et sombres à la fois dans le ciel.

Il bougea quelques unes des pièces sur la table numérique qui était devant lui. Comme tout ceci était étrange... Il avait l'impression qu'en arrivant ici, il avait perdu quelque chose de précieux en lui. Son innocence avait petit à petit disparu, et il se retrouvait confronté à des problèmes qu'il n'aurait jamais imaginé.

Le seul moyen de retourner chez eux, n'était-il pas de repasser à l'intérieur de la machine, comme ils l'avaient fait pour venir?


Il n'osa pas encore en parler à Arwen, lorsqu'ils se couchèrent ce soir-là. L'un comme l'autre, ils étaient encore trop perturbés par tout cela. Et puis, rien n'indiquait que c'était la solution pour retourner d'où ils venaient.

De plus, ils étaient venus à deux: pourraient-ils repartir alors qu'ils étaient à présent trois?

Ils essayèrent de dormir tôt pour se reposer, et récupérer de toutes les émotions que chaque journée dans ce monde leur donnait.

Il était cependant difficile de s'endormir rapidement, quand on avait la tête pleine de pensées, toute aussi contradictoire les unes que les autres.

3 commentaires:

  1. Ahah ! J'avais raison, Arwen va réussir à défaire le gouvernement, ce qui lui vaudra une statue ! :3
    Sera est trop chou avec Vitae, un vrai papa poule x)

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  2. Et bien ! Et bien ! Ça se précise ! Arwen à trouvé les dirigeant e tmené une révolution dans le passé, mais on se demande vraiment comment cette sécheresse à pu arriver.

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  3. Bon, on avance... enfin, on confirme que quelque chose ne va pas sur l'île actuelle (ce qu'on savait) mais on ne sait toujours pas ce qui s'y passe précisément ni que faire ; Arwen est donc le libérateur ? A quel prix ? On fait aussi des statues de ceux qui se sont sacrifiés et si l'histoire était faussée dans le présent, elle peut rester faussée dans le futur, même si c'est sous un autre angle... Leur futur n' a pas l'air très emballant cela dit... Si c'est le prix à payer faut il le faire ? Ou essayer une autre voie ?

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