30.3.16

Episode 100: L'apocalypse


Cette nuit-là, le ciel changea subitement du tout à tout.  La neige cessa de tomber, et fondit rapidement, pour ne laisser qu'une rosée fraîche sur l'herbe et les feuilles de arbres les plus hauts. La glace tomba rapidement dans les fonds marins, et les étoiles firent leur première apparition depuis des semaines.

Cela aurait pu être une bonne nouvelle, si un voile de brume rouge ne s'était pas étendu au dessus de l'île, comme annonçant une horrible catastrophe.

Au cours de la journée, la pluie revint s'abattre sur la maison et ses environs, jusqu'à devenir torrentielle. On n'y voyait plus beaucoup devant soi, et Azalée était seule à la maison: inquiète de savoir ses enfants sortis, elle s'avança sur le seuil de la maison. La pluie était si forte, qu'un seul pas à l'extérieur l'aurait rendue totalement trempée. Mais plus elle guettait, et plus elle s'inquiétait de ne pas voir ses petits rentrer.


Dans un sursaut instinctif, elle traversa la jardin en courant, puis s'engouffra dans la forêt. Elle ne pouvait pas rester à la maison sans rien faire, et elle décida de partir à la recherche de ses enfants. Elle savait que Odin était parti nager, peut-être même pour plonger sous l'océan. Avec une telle averse, ce n'était pas bon signe, il devait y avoir des courants marins en éveil, et même s'il savait bien nager, mieux valait rester sur la terre ferme dans ces moments-là.

Elle courut aussi vite que possible, mais la pluie ne l'aidait pas beaucoup: elle rendait les sols glissants, d'immenses flaques d'eau faisaient leur apparition, et des mares de boues naissaient lorsque l'on restait trop longtemps à même le sol.

L'île réagissait comme si la pluie tombait depuis déjà des semaines.


Mais Odin n'était pas aussi inconscient que ce que sa mère aurait pu croire. Dès qu'il avait vu que la pluie devenait plus forte, il s'était rapidement rhabillé, et avait couru en longeant la côte pour retourner à la maison. Son coeur battait la chamade, surtout lorsqu'il regardait en direction de l'horizon.

Le ciel était complètement gris, presque noir: il n'avait jamais vu une telle tempête auparavant. Le vent était aussi de la partie, il soufflait dans les branches de arbres, qui tanguaient dangereusement au-dessus de sa tête. Il fallait qu'il rentre à la maison au plus vite, n'importe qui aurait su qu'il était totalement idiot de rester dehors par un temps pareil.

La maison, c'était l'endroit le plus sûr de l'île... C'était en tout cas ce qu'il pensait.


Freya avait également été surprise par la pluie, au beau milieu d'une partie de chasse. Elle qui détestait être mouillée, avait supporté les premières gouttes de pluie avec tant de bien que de mal, mais il était arrivé un moment où cela lui était devenu insupportable.

Elle avait froncé les sourcils en direction du ciel, puis s'était mise à courir pour rentrer à la maison. Mais plus elle se dépêchait, et plus la pluie lui fouettait le visage, ce qui la ralentissait.

Il était difficile de voir loin devant elle, tant les gouttes formaient un épais rideau. De plus, toute cette eau brouillait les pistes, elle ne pouvait donc pas se fier à son odorat pour retrouver le chemin, ce qui la força à réduire la cadence.


A un moment donné, elle se sentit tellement mouillée qu'elle essaya de trouver refuge dans des buissons, en attendant que la tempête se calme. Comme elle détestait cette sensation! Elle n'avait jamais eu confiance en l'eau, et voilà que cette dernière se mettait à lui faire des représailles!

Elle se protégea le visage de ses mains, mais il lui fallait se secouer régulièrement pour chasser toutes les gouttes d'eau qui s'infiltraient dans ses cheveux. La pluie n'avait pas l'air de vouloir cesser. Elle reste plusieurs minutes ainsi, recroquevillée sur elle-même. Elle ne pouvait pas attendre que le déluge prenne fin...

Dans un moment d'espoir et de courage inespérés, elle bondit hors de sa cachette, et fonça aussi vite que possible en direction de la maison.

"Faites que ça s'arrête, faites que ça s'arrête..." ne cessait-elle de répéter en son for intérieur.


"Odin! Odin, je suis là!"

Azalée fit de grands signes à son fils depuis la plage, et courut en sa direction. Malgré le bruit infernal du vent et des vagues, qui était encore pire à cet endroit de l'île, l'adolescent entendit sa mère, et ils furent bientôt tous les deux réunis.

"Odin, il faut rentrer immédiatement! Tu as vu ce temps, c'est pas possible, viens!
-J'étais en route vers la maison, tu n'aurais pas du sortir! lui cria-t-il pour se faire entendre. C'est de la folie!
-Je ne pouvais pas tout en sachant que tu étais dehors! Dépêchons-nous, il faut aller chercher ta soeur ensuite, elle doit être terrifiée!
-J'irai seul maman, je connais bien l'île et..."

Il se tut tout à coup, le regard fixé sur l'océan déchaîné.


Azalée ouvrit des yeux ronds, et ses paroles restèrent coincées au fond de sa gorge.

Ce qu'ils découvrirent tout à coup défiait tout entendement.

"Qu'est-ce que... réussit à articuler Odin."

Mais il n'eut pas besoin d'en dire plus, et sa mère n'eut pas non plus besoin de lui répondre. Elle était terrifiée à l'approche de ce qui semblait être un ouragan, et elle n'arrivait pas à en détacher son regard. Il fallut également un bon moment avant qu'Odin ne réussisse à recouvrir ses esprits, et il s'empara brusquement de la main de sa mère.

"Viens, il faut y aller et vite!"

Il la tira d'un coup sec, et ils se mirent à dévaler la forêt à en perdre haleine.


A peine étaient-ils arrivés à proximité de l'allée qui menait à la maison, qu'ils aperçurent Freya qui courait dans leur direction. Elle était arrivé quelques minutes à peine avant eux, et s'était inquiéter de voir que la maison était complètement vide.

"Vous voilà enfin! s'exclama-t-elle.
-Vite, à l'intérieur!  lui cria sa mère.
-Qu'est-ce qu'il se passe, je ne comprends pas...
-Rentre! On n'a pas le temps de discuter ici!"

Et tous les trois se précipitèrent sur la porte d'entrée, avant de rentrer un par un dans la maison, à l'abri de la pluie qui continuait de noyer le sol. Freya se secoua les cheveux, et Azalée apporta des serviettes pour que chacun puisse se sécher: ce n'était pas le moment d'attraper froid.


L'adolescente regarda par la fenêtre, et elle sentit que le reste de la famille venait s'installer dans son dos.

"Qu'est-ce que c'est que ça... Il n'avait jamais plu autant sur l'île."

Malgré la pluie et le vent, l'intérieur de la maison était assez silencieux, et sa voix résonnait dans ce calme inhabituel.

"Un... un ouragan est en train de se diriger sur les côtes, répondit sa mère.
-Un ouragan?!
-Oui, mais je pense que nous ne risquons rien si nous restons ici. La maison est solide, il faut attendre que ça passe.
-Rester enfermés à la maison, encore!
-On n'a pas le choix, intervint Odin. Si tu avais vu la tornade comme nous l'avons vue..."


Un coup de tonnerre leur parvint tout à coup, et Freya poussa un cri de peur en se bouchant les oreilles.

"C'est l'orage, fit son frère pour essayer de la rassurer."

Mais c'était inutile, la peur avait commencé à s'insinuer en la jeune fille depuis plusieurs heures maintenant, et elle s'était tellement ancrée en elle qu'il lui était impossible de se raisonner. Son instinct animal lui avait donné une aversion naturelle pour la pluie et le mauvais temps, et on ne pouvait rien faire pour lutter cette nature.

Azalée essaya de prendre les choses en mains.

"Tout va bien se passer ma puce, ne t'inquiète pas... Je suis là, et tu vois bien que la pluie ne peut pas traverser les murs ni le plafond."


Azalée s'adossa contre le mur, et regarda l'averse à travers l'encadrement de la porte. La voilà, la catastrophe qui s'était cachée durant les derniers jours... Un ouragan. Comment faire face à ce genre de météo? A Ziwa Bonde, même la saison froide avait été plutôt clémente...

Ici, il n'y avait pas de demi-mesure. Elle espérait que le coeur de l'ouragan ne s'approcherait pas trop de la maison, et qu'ils n'auraient pas trop à s'en faire. Il était déjà difficile de garder son calme pour le moment...

L'orage continuait de gronder dehors, et cela ne l'aurait pas dérangée plus que ça, si elle n'avait pas vu de ses propres yeux ce qui semblait s'approcher inévitablement de leur petit cocon.


Freya se laissa tomber à terre, et se cacha le visage dans les mains. Elle était terrifiée, elle n'avait jamais entendu un tel vacarme, elle avait l'impression que la fin du monde n'était pas très loin.

Elle essayait de ne pas pleurer, mais c'était difficile de ne pas perdre tous ses moyens. Elle qui avait toujours promis à son frère et à sa mère de les protéger de tous les dangers, voilà qu'elle était aussi inutile qu'un papillon! Elle se rendait compte qu'elle ne servait à rien, et qu'elle ne pouvait pas affronter tout ce que la nature pouvait leur envoyer, et elle s'en trouvait totalement déstabilisée. Elle avait cru être invincible, elle se retrouvait paralysée comme un chiot nouveau-né.

"Tout va bien, nous sommes ensemble... lui dit Odin."

Il posa une main sur son épaule pour tenter de la rassurer.


"Qu'est-ce que ça change? gémit-elle. Ni toi, ni moi et encore moins maman ne pouvons faire quelque chose contre cette tempête!
-Non, mais nous pouvons nous entraider, et nous serrer les coudes. On devrait aller chercher un livre par exemple, et le lire tous ensemble, ça nous aiderait à faire passer le temps.
-Ça ne nous sauvera pas, tu sais!
-Arrête de penser qu'on va mourir, c'est juste un peu de pluie et de l'orage. Ce n'est pas dangereux.
-C'est bien ça le problème avec vous, les humains, vous pensez toujours que rien ne peut vous arriver, et que ça n'arrive toujours qu'aux autres!"

Odin ne sut que répondre. Elle avait raison, bien entendu, mais à quoi cela servirait-il de se faire du souci dans un cas pareil? Leur destin était scellé, il n'y avait qu'à attendre.


L'adolescent partit choisir un livre dans la bibliothèque de la maison. Il n'y avait pas énormément de choix bien sûr, et il avait déjà lu et analysé tous les manuscrits qui s'y trouvaient. Cela ne l'empêchait pourtant pas de profiter d'une seconde lecture, et puis d'une troisième... Il aimait tout simplement se voir conter l'histoire de ses ancêtres. Il en prit un au hasard, et lut à voix haute:

"Aujourd'hui, je me retrouve échouée sur une plage, sans aucune ressource ni personne aux alentours..."

Pendant qu'il racontait son histoire, la pluie continuait de faire rage au dehors, et l'on put constater à quel point les murs de la maison résistaient, ce qui était une chance extraordinaire. Odin lisait sans répit, Azalée et Freya semblaient toutes deux suspendues à ses lèvres, comme pour oublier la peur de l'ouragan. Et pourquoi, comme elles connaissaient déjà cette histoire par coeur!


Et tout à coup,  une branche craqua si fort qu'elle fit sursauter Freya et lui arracha un cri de peur.

"Ce n'est rien ma chérie, lui fit sa mère, c'est juste une branche qui..."

L'adolescente se releva brusquement, une expression désespérée sur le visage, et pointa du doigt quelque chose qui se profilait à l'horizon. Un nouveau cri strident retentit à l'intérieur de la maison, et de violents tremblements la secouèrent.

Odin se leva à son tour, et essaya de la prendre dans ses bras pour l'empêcher de faire une quelconque bêtise:

"Ne regarde pas! Ne regarde surtout pas, Freya! Regarde-moi, je suis là!"

Mais le visage de la jeune femme était désespérément tourné vers le jardin, et dans un sursaut de force inouïe, elle se dégagea des bras de son frère et courut dehors.


"Non!! Freya, reviens!!"

Sa mère essaya de la rattraper, mais sans y parvenir, aussi la suivit-elle dans le jardin pour essayer de la faire revenir à la raison.

"Freya, arrête-toi je t'en prie! Tu ne seras pas plus en sécurité qu'ici, reviens!!"

Azalée dut se protéger le visage pour tenter d'y voir quelque chose. Comment avait-elle pu être aussi naïve, penser qu'elle parviendrait à garder sa fille à l'intérieur! Les animaux ne restaient jamais en place lorsque le danger se faisait sentir, il leur fallait toujours se terrer dans un endroit où ils seraient à l'abri... Et malgré ses dires, la maison ne correspondait pas à un tel endroit. Et Freya possédait en elle une partie animale qu'elle ne pouvait plus gérer comme si de rien n'était...


Odin sur ses traces, ils n'eurent cependant pas à aller bien loin pour rattraper l'adolescente.

Elle s'était arrêtée tout près de l'extrémité du jardin, le regard fixé droit devant elle.

"Freya, il faut rentrer, ne reste pas plantée là! lui cria sa mère en s'approchant plus près."

Mais à son tour, un frisson lui parcourut le dos, et elle leva les yeux sur la chose que Freya ne pouvait pas quitter des yeux.

"C'est... c'est pas possible, c'est complètement délirant... murmurait Odin plus pour lui-même que pour quelqu'un d'autre."


Au-delà de la baie qui s'étendait devant leur maison, en levant un peu les yeux vers l'horizon qui était complètement dégagé, à cause des nombreux arbres abattus par le vent, ils la découvrir dans toute sa splendeur: une tornade.

Une tornade qui se dirigeait à pleine puissance dans leur direction.

S'ils ne bougeaient pas, s'ils ne faisaient rien d'autre que de rester là, ils allaient y rester. Le coeur de l'ouragan allait les avaler.

Mais à quoi courir pouvait-il bien servir? On ne pouvait pas courir plus vite que le vent.

Combien de secondes leur restait-il à vivre? Soixante? Plus? Moins de dix?


Odin ferma les yeux, il avait senti tout son courage l'abandonner durant les quelques secondes où il avait découvert l'ouragan en folie. Tout près, il entendait sa mère pleurer, sa soeur pousser des gémissements de terreur.

Le vent l'empêchait difficilement de rester debout, mais il essayait de tenir bon.

Freya se laissa tomber à terre.

Impact dans dix secondes.

Un cri déchirant.

Et un choc violent.

Puis l'enfer. L'apocalypse.

7 commentaires:

  1. Bon sang, et tu coupes là ! Je te hais, Nat. Vont ils survivre ? Tous ? Mon Azalée, finir comme cela ? La suiiiiiiiiiiiite !!!!

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    1. Mais tu sais bien à quel point j'aime ce genre de coupure!! Il se peut que la suite arrive samedi, si j'avance bien mon campnano!

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  2. C'est extrêmement cruel de couper là, j'attends la suite de pied ferme ! Je sens qu'ils ne vont pas tous en réchapper, c'est horrible... En tout cas, superbe chapitre, aussi bien du point de vue de l'écriture que des illustrations *^*

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    1. Merci beaucoup! J'espère que la suite saura te plaire, 'jattendais ce moment depuis longtemps!

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  3. Les images sont magnifiques! *-* Ce chapitre est vraiment incroyable! Ton écriture est soignée et prenante! *-*
    Je file lire la suite!

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  4. Ok, j'ai lu les 100 chapitres en 3 jours. Et j'étais sûre que l'ouragan allait arrivé mais de là à couper là... Je suis bien contente de ne pas avoir à attendre la suite ! Je files la lire !!

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    1. oh merci, 100 chapitres en si peu de temps, ça me fait plaisir!!
      oui quelle chance, ne pas avoir à attendre :D

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