6.1.16

Episode 83: Doutes et questions


Kairos prenait à présent le temps de méditer quelques minutes tous les jours. Même si son rôle de chef du village lui plaisait, ce n'était pas de toute repos et parfois, la tension montait tellement qu'il avait besoin de réfléchir au calme, sous peine d'exploser. Dans ces moments-là, Lily veillait toujours à ce que les enfants le laissent tranquille. Ce n'était pas une tâche très difficile, la plupart du temps, Cosmos devait être à l'école, et Azalée n'était pas une petite fille très difficile à occuper.

Ses cheveux avaient beaucoup poussé, et tous les matins, il fallait passer un moment à les tresser pour qu'ils ne tombent pas sur son visage.

"Voilà, tu es magnifique comme ça! Et si on allait jouer un peu? lui proposa sa tante.
-Oh oui on va jouer!"




Cosmos, à qui les jeux d'enfant ne disait plus grand-chose, s'était trouvé une nouvelle activité: le jardinage. N'aimant pas courir à droite et à gauche, et étant de nature plutôt calme, il avait découvert que planter des graines et les arroser tous les jours pouvait devenir très intéressant, aussi ne s'était-il pas privé.

Il avait hâte de voir ses arbres et ses plants pousser, et de pouvoir récolter quelques fruits ou légumes sur leurs branches. Il se demandait d'ailleurs pourquoi il n'y avait pensé plus tôt, lui qui avait tout de suite eu envie de se fabriquer une couronne avec des fleurs. La nature l'attirait, il ne se sentait jamais mieux que dehors en plein air.


Il avait maintes et maintes fois entendu que son grand-père, qu'il avait peu connu, aurait lui aussi eu un grand jardin, avec d'innombrables variétés de plantes, aussi aimait-il poser de nombreuses questions à sa tante pour en savoir plus.

"Et comment arrivait-il à prendre soin de toutes ces plantes? C'est un travail tellement immense d'en avoir déjà quelques unes!
-Il y mettait tout son amour tu sais! Et puis, ta grand-mère avait besoin de ces plantes là pour fabriquer les remèdes du village...
-Et toi, comment tu fais maintenant?
-Eh bien, j'ai réussi à me constituer une petite réserve, d'autant plus qu'on est dans une période où il n'y a pas beaucoup de malades. Mais on peut trouver la plupart des plantes à l'état sauvage, même si évidemment, quand on les cultive soi-même, on est quasi sûr de ne jamais être à court d'une plante en particulier.
-J'aimerais t'aider tu sais, si j'arrive à faire pousser mes graines, je pourrais partager les récoltes avec toi!
-C'est gentil, ce serait avec plaisir!"


Si Kâli était celle qui s'occupait le plus souvent d'Azalée, tout le monde aimait pourtant la fillette, et Kairos n'hésitait jamais à passer quelques instants en sa compagnie, dès qu'il le pouvait. Elle continuait d'appeler Kâli maman, et cela l'inquiétait un peu, mais il la laissait faire. Lily ne semblait pour le moment pas très préoccupée par la situation, ce qui signifiait qu'il devait trop s'en faire.

"Qu'est-ce que tu aimerais manger aujourd'hui Azalée?
-De la purée!
-Ah, je ne sais pas si on a de la purée... On va aller vérifier ça dans le garde-manger!
-Tonton peut faire la purée!
-Je pourrais c'est vrai, mais ça prend du temps! Il faut éplucher les pommes de terre, les cuire, puis les réduire en purée...
-Tonton m'apprendre à faire de la purée?
-Quand tu seras plus grande, si tu veux! répondit-il en riant."


Mais si Lily ne montrait aucun signe d'inquiétude, c'est parce qu'elle était trop occupée à réfléchir à la situation. Certes, il était tout à fait normal qu'Azalée considère Kâli comme sa mère... C'était elle qui s'en occupait depuis sa naissance. Elle la nourrissait, la changeait, et lui apprenait tout ce que les petits enfants devaient savoir pour bien grandir. Quelle différence pouvait-elle faire avec ce que Lily avait été et était toujours pour Cosmos?

D'un autre côté, il lui semblait qu'il était indispensable de mettre les choses au clair, et d'expliquer à la fillette qui était vraiment Kâli, et de lui expliquer qui avait été ses parents... Peut-être pas entièrement, mais au moins lui dire que ses vrais parents étaient morts. Ce n'était pas bon de construire une relation sur des non-dits, et laissez des malentendus s'installer.

Une seule question l'empêchait cependant d'agir: comment expliquer tout ça à une petite fille de même pas trois ans?


Kâli continuait d'enrichir le vocabulaire de sa petite protégée, qui progressait aussi bien que son âge le lui permettait. Elle arrivait presque à construire des phrases entières, et n'avait plus de soucis pour désigner les choses qui l'entouraient.

"C'est bien, bravo Azalée!
-Je sais tout dire!
-Oui, presque, c'est vraiment très bien. Tu pourras montrer à tonton tout ce que tu sais dire, il sera vraiment impressionné!
-Oh oui maman, ça sera une surprise!"

Kâli lui sourit, malgré sa remarque qui n'était pas anodine. En voulant prouver à son frère qu'elle était une bonne mère pour leur nièce, peut-être essayait-elle de légitimer le fait qu'elle pouvait l'appeler maman...


Mais si Kairos était satisfait de voir la fillette se développer à un bon rythme, il n'en restait pas moins évident pour lui qu'il fallait dire la vérité à Azalée, et surtout, qu'il ne fallait pas tarder. Plus le temps passait, et plus il serait difficile pour elle d'accepter la vérité.

"Regarde tonton comme je sais bien marcher!
-C'est très bien! Bientôt, tu pourras aller courir dans les champs de maïs!
-Oh oui, mais je sais déjà courir!
-Mais tu es encore trop jeune pour sortir seule. Bientôt, tu auras le droit!
-Je ramènerai des épis pour les manger. Je les cuisinerai toute seule! Maman a dit qu'elle m'apprendrait tu sais!
-Oui... C'est bien, oui..."

Il laissa la fillette seule, et partit rejoindre sa soeur dans la pièce d'à côté.


"Kâli, je peux te parler cinq minutes?
-Oui bien sûr, qu'est-ce qu'il y a?"

Elle reposa le livre qu'elle avait en mains, un des journaux intimes de Târâ, et se leva. Elle sentait que la conversation n'allait pas être agréable...

"Ecoute... Il faut vraiment que tu parles à Azalée.
-Mais elle est si petite...!
-Elle grandit, elle commence à comprendre les choses. Tu ne peux pas attendre qu'elle ait quinze ans, et qu'elle pense vraiment que tu es sa mère! Pour le moment, elle ne se rend pas compte, ce n'est qu'un surnom affectueux...
-Justement, pourquoi la priver de ce surnom qu'elle seule peut me donner!
-Parce qu'elle va bientôt entrer à l'école, et là, ce sera encore plus difficile pour elle! Imagine qu'elle l'apprenne de la bouche de quelqu'un d'autre. Tu sais tout aussi bien que moi que notre secret n'est pas des mieux gardés."


Lorsqu'elle se coucha se soir-là, elle eut du mal à trouver le sommeil. Au fond d'elle-même, elle avait peur... Peur de dire la vérité à Azalée, qu'elle considérait comme sa propre fille. Mais elle, continuerait-elle à la considérer comme sa mère, lorsqu'elle saurait qu'elle ne l'avait pas mise au monde? Kairos avait beau lui assurer que cela ne changerait rien aux liens qu'elles avaient tissés, Kâli n'en était pas aussi certaine que lui.

La situation était si compliquée, qu'elle souhaitait parfois que Târâ ne fût pas morte... Mais avec la folie qu'elle avait révélé avoir, elle aurait été incapable d'élever correctement sa fille...

Kâli ne put s'empêcher de pleurer cependant. Comme sa petite soeur pouvait lui manquer, malgré les circonstances dans lesquelles elles s'étaient quittées...


Kairos aussi dormit mal ce soir-là. Il était le seul homme de la famille depuis que ses parents étaient morts, et il devait prendre soin de l'unique soeur qui lui restait... Et même s'il ne le montrait pas vraiment, il était réellement attaché à Azalée. Il voulait qu'elle puisse grandir le plus sereinement possible, et qu'elle soit heureuse.

Il se tourna et se retourna dans son lit, et pris Lily par la taille.

"Tu dors? souffla-t-il à son oreille."

Elle ne répondit pas, et il n'osa pas insister. Ce n'était certainement pas l'heure ni le lieu pour en parler...


Kâli se leva tôt le lendemain matin, si bien que le soleil était à peine au-dessus de l'horizon lorsqu'elle sortit de la maison. Elle était sortie discrètement pendant qu'Azalée dormait encore en compagnie du reste de la famille.

Elle avait besoin de faire un tour, seule. Ses pas l'emmenèrent au cimetière du village, cela faisait un moment qu'elle n'était pas venue s'y recueillir... Après tout, elle ne pouvait pas passer sa vie ici... même si de nombreuses personnes qu'elle avait aimées s'y trouvaient enterrées.

Ses pas la guidèrent jusqu'à la tombe de Târâ. Depuis combien de temps avait-elle rejoint les esprits? Des jours, des semaines, des mois... Bientôt plus de quatre ans. Le temps passait tellement vite, mais le chagrin était quelque chose de plus difficile à oublier.


"Târâ, c'est encore moi... Ça fait longtemps, je sais... Comme c'est difficile depuis que tu n'es plus là. Je m'occupe bien d'Azalée, elle grandit vite si tu savais... Elle sait marcher, parler, et bientôt, nous allons la mettre à l'école... Mais parfois, j'ai l'impression de ne pas être une bonne mère pour elle! Ne m'en veux pas, mais je ne sais pas comment lui parler de toi, c'est si difficile!"

Des larmes coulèrent sur ses joues, mais elle les essuya rapidement.

"C'est que... Ce n'est pas par honte ou quoi que ce soit, mais j'ai peur que les autres se moquent d'elle, tu sais, les villageois ne sont pas toujours très compréhensifs... Et puis, elle me considèrent comme sa mère, et j'ai peur qu'elle ne m'aime plus de la même façon lorsqu'elle saura. Est-ce que tu peux vraiment m'en vouloir pour ça...?"


Ce fut Cosmos qui se leva en premier, et qui s'occupa de sa petite cousine.

"Où est maman?
-Je crois qu'elle est sortie faire un tour, c'est moi qui m'occupe de toi ce matin!
-On va jouer ensemble?
-Oui un peu. Mais d'abord, il faut que tu ailles prendre ton bain et que tu t'habilles!
-Je sais m'habiller toute seule maintenant! Je suis grande!
-Super, tu vas pouvoir me montrer ça!"

Kâli ne tarda cependant pas à rentrer, et Cosmos en fut soulagé: ce n'était pas de tout repos de s'occuper de la fillette, et il devait se préparer pour accueillir ses camarades de classe qui avaient été invités pour la journée.


Le premier à arriver fut Joss, et Cosmos était tout juste prêt quand il toqua à la porte.

"Salut! Entre, tu es le premier!
-Yo, merci! Mince, moi qui pensais être en retard, c'est pas du tout le cas à ce que je vois!"

Joss avait la peau couleur caramel, et des cheveux entre le châtain et le blond. Ses yeux étaient plutôt clairs, car il comptait dans son arbre généalogique une arrière-grand-mère arrivée de nul part, avec des cheveux blonds comme les épis de maïs en été. L'arrivée d'étrangers au village avait toujours été un mystère pour Cosmos: on lui racontait que c'était chose courante, et pourtant, il n'en avait jamais aperçus. De plus, il avait à peine connu son grand-père, qui lui aussi était arrivé d'une contrée lointaine...

"J'imagine que Keira ne devrait pas tarder.
-Je l'espère. Viens, je vais te faire visiter un peu..."


Azalée avait entendu du bruit inconnu, pour la première fois depuis qu'elle était née. Peu de gens avaient franchi le seul de la maison, Kâli et Kairos ayant tenu à la préserver des regards indiscrets, elle ne connaissait donc personne d'autre en dehors de sa famille. Aussi se réfugia-t-elle dans son coffre à jouets, lorsqu'elle entendit la voix de Joss résonner dans la maison.

Bien cachée, à l'abri d'un quelconque danger selon elle, elle resta immobile, et écouta discrètement la conversation que tenaient les deux adolescents.

Cosmos ne semblait pas avoir peur, elle jugea donc que le jeune homme avec qui il se trouvait ne devait être être dangereux, et elle se sentit un peu plus rassurée.


Kâli essayait de ne plus penser à la promenade qu'elle avait effectuée le matin-même. Lily, qui sentait sa fragilité grandir, lui proposa une partie de jeu de balle pour la détendre.

Après tout, la situation n'était pas aussi grave qu'elle en avait l'air... Personne n'était en danger de mort, il s'agissait juste de trouver le juste milieu dans sa relation avec Azalée, et surtout, trouver le bon moyen de lui dire qui étaient ses vrais parents.

"Allez, fais-moi une passe! lança-t-elle.
-Tu rattrapes hein? s'exclama Kâli, sachant que sa belle-soeur n'était pas très douée en jeu de balle.
-Je sais quand même jouer à la balle!
-J'espère pour toi! Je ne sais pas si Kairos te l'a dit, mais j'ai toujours été la meilleure à la balle de nous deux!"


D'abord intimidée par l'arrivée de cet inconnu dans sa maison, Azalée était rapidement devenue à l'aise avec Joss, et elle l'avait même laissé la prendre dans ses bras. Elle semblait toute admirative devant lui, et n'hésitait pas à l'inonder d'éloges.

"Joss est fort! Il me porte avec un seul bras!
-Tu es toute légère aussi, c'est normal!
-Joss a de jolis yeux clairs aussi! Moi les miens ils sont tout foncés!
-C'est parce que ma mère a les yeux clairs aussi.
-Ah... moi maman a les yeux clairs aussi, pourtant...
-Mais des fois, on a les yeux de son papa."

Azalée reste un moment pensive. Un papa? Quel papa? Elle n'avait pas de papa, elle n'avait que son tonton Kairos à la maison.


Kâli arriva cependant dans la pièce, et la fillette n'y pensa plus.

"Ah, je pensais bien vous trouver ici! Comment vas-tu Joss? Je suis contente de voir que tu as fait la connaissance d'Azalée!
-Moi de même, enchantée madame...
-Appelle-moi Kâli.
-J'avoue être un peu surpris, cette petite est tout à fait adorable et n'a rien d'exceptionnel... Tant de gens racontent n'importe quoi sur elle depuis qu'elle est née.
-Ah, je vois... c'est gentil en tout cas de ne pas prêter attention à tous ces ragots.
-Bah, c'est normal. Et puis à la base, je suis surtout venu parce que Cosmos m'a invité. Nous avons un travail commun à faire pour l'école...
-C'est bien, je vais prendre la petite et vous laisser travailler alors. Soyez sérieux!"

Elle prit Azalée dans ses bras, et laissa les deux garçons au salon.


Et enfin, on toqua une seconde fois à la porte de la maison.

"J'y vais! s'exclama Cosmos en proposant à Joss de s'asseoir.
-Ce doit être Keira, répondit-il. On ne peut pas dire qu'elle soit ponctuelle cette fille!
-J'imagine qu'on peut tout lui pardonner...
-C'est clair, qui lui en voudrait longtemps?
-La fille la plus belle de tout le village...
-Et surtout, le coup de coeur de Cosmos, hein? fit Joss en donnant un coup de coude à son camarade."

Cosmos secoua la tête, et partit ouvrir.

2 commentaires:

  1. Ow, elle est jolie cette Keira :3
    Azalee comment à se poser des questions à propos de son papa, ce n'est qu'une question de temps pour qu'elle se mette à en parler je sens.

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  2. Keira est vraiment zolie (mais moins qu'Azalée ^-^)
    D'ailleurs, elle commence à se poser des questions... Je me demande ce que Kâli va lui répondre quand elle lui demandera qui est son père...

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