7.12.15

Episode 71: Les affres de la jalousie


Un matin de brume et de brouillard, le village de Ziwa Bonde connut un changement sans précédent. Alors que tous dormaient encore, Kairos avait affiché une nouvelle série de lois, gravées sur une planche en bois, sur la place centrale du village. Parmi elles: le libre choix de vivre une relation amoureuse sans avoir besoin d'être uni. La nouvelle avait ébranlé la plupart des villageois, qui avaient pourtant longtemps espéré pouvoir être libre.

Ce jour-là, Kâli avait couru pour rejoindre Akin dans un coin isolé des regards indiscrets. Elle s'était jetée dans ses bras, et ils s'étaient embrassés. Lorsqu'il l'avait serrée contre lui, elle avait déclaré:

"Oui! Oui je veux être avec toi, Akin!"



Elle lui prit la main, et ils s'éloignèrent du village. Malgré la liberté qui leur était accordée, il était difficile d'effacer des centaines d'années de traditions. Kairos n'avait pas eu froid aux yeux en affichant les nouvelles lois, il était certain que c'était la meilleure chose à faire pour eux: accorder à chacun la liberté d'aimer et de s'unir à qui l'on voulait.

"Si j'avais su ce que mon frère préparait...
-L'idée de t'unir à moi te fait donc si peur que ça?
-Non, ce n'est pas ça... C'est que ça me semblait si rapide, j'ai déjà tellement à faire pour le village... Et ma soeur...
-Elle est grande, elle s'en remettra! dit-il en riant."


Ils se posèrent dans un endroit où ils pensèrent être tranquille. Kâli se laissait doucement happer par une liberté qu'elle n'avait encore jamais goûté, et elle s'enveloppait de sentiments qui ne la quittaient plus. Elle se sentait heureuse et épanouie. C'était donc cela l'amour. C'était pour cela que Lily et Kairos semblaient si heureux ensemble.

L'amour était décidément un sentiment bien étrange, qui pouvait vous rendre bien plus heureux qu'elle ne le pensait.

"Akin? Je crois que je t'aime.
-Tu crois? Moi j'en suis persuadé!"


Ils n'étaient cependant pas aussi seuls qu'ils le pensaient. Derrière des hautes herbes, Târâ les observait scrupuleusement.

Il était difficile de définir son expression, et de savoir ce à quoi elle pensait. Sans émotion, c'est ce qu'elle semblait être, mais elle avait toujours eu un visage assez inexpressif, seule la musique avait le pouvoir de traduire ce qu'elle ressentait.

Elle se contentait de fixer les deux jeunes amoureux en silence.

Lorsqu'elle en eut assez, elle se détourna vivement et retourna à la maison.


Bien malgré elle, elle était entourée de couples. Kairos et Lily ne cachaient pas leur bonheur, loin de là: ils étaient les premiers à montrer combien on pouvait être heureux à deux, même s'ils n'étaient pas loin de se retrouver à trois.

"Alors, fille ou garçon? demanda une nouvelle fois la jeune femme.
-Garçon! répondit inévitablement Kairos.
-Et si c'est une fille...?
-Ce sera un garçon, tu verras que j'aurais raison.
-J'aimerais bien voir ta tête si c'est une fille. Il ne faudrait pas que tu sois déçu...
-Tout ira bien."

La naissance n'était pas loin de se produire, selon les calculs de Kâli, et Lily commençait à avoir hâte de pouvoir se débarrasser de son gros ventre.


La nuit allait se coucher, et il était temps pour Akin et Kâli de se séparer.

"Quand reviendras-tu...? lui demanda-t-il en lui prenant la main.
-Je ne sais pas... Peut-être demain? Je devrais pouvoir me libérer un créneau.
-D'accord, je t'attendrai alors...
-Rendez-vous au temple, il n'y a pas grand-monde qui s'y rend en ce moment, il fait trop chaud."

Elle l'embrassa, et rentra à regrets à la maison. Ils ne pouvaient tout de même pas passer la nuit dehors, et inviter Akin juste après la nouvelle annonce était trop rapide, elle avait besoin de digérer l'information avant d'annoncer à tout le monde leur relation.


Son frère et sa soeur l'attendaient à la maison, le repas avait déjà été servi: ils avaient cependant tenu à l'attendre, tandis que Luhan et Ika étaient en promenade digestive.

"On ne t'a pas beaucoup vue de la journée... fit remarque Târâ d'un air entendu.
-Désolée, je... j'avais beaucoup à faire, entre la cueillette et les visites dans le village.
-J'aurais pu t'accompagner tu sais, fit-elle légèrement vexée.
-Excuse-moi... La prochaine fois, je t'emmènerai! Mais c'était une journée ennuyeuse, tu n'as rien manqué.
-Ce n'est pas grave, ça me fait plaisir quand même de venir. En plus, je n'ai pas vu Kairos de la journée non plus...
-Mais enfin, tu sais bien que j'avais des choses à faire, en tant que chef du village... rétorqua-t-il gêné en sentant le malaise qui s'installait."

La jeune femme haussa les épaules.


Elle s'apprêtait à répondre, lorsqu'à nouveau, une horrible migraine s'empara d'elle.

"Aaah... Ma tête! Ma tête!"

Kairos se leva brusquement pour la soutenir, et Kâli s'approcha en courant pour l'examiner de plus près.

"Târâ! Târâ, calme-toi, ça va bien se passer! Viens, nous allons t'allonger quelque part!
-Non! Non! Laissez-moi, je ne veux pas... Non, ce n'est pas vrai!"

Sa soeur lui lança un regard intrigué, elle ne semblait pas s'adresser à eux, alors qu'ils étaient les seuls dans la pièce...


Kairos s'occupa de l'emmener dans la chambre, car elle ne semblait plus rien voir tant la douleur l'aveuglait. Kâli, quant à elle, prépara un remède un peu plus fort que d'habitude: il la rendrait sans doute somnolente, mais au moins, la douleur s'effacerait beaucoup plus rapidement.

Ce fut effectivement le cas, Târâ ne mit pas longtemps à s'endormir, et au retour de leurs parents, ce fut Ika qui prit la relève pour la veiller toute la nuit. Personne ne comprenait d'où pouvait bien venir ces maux de têtes de réguliers, et Kâli passa une grande partie de la nuit à chercher des médicaments plus puissants, en vain.


Lorsqu'elle se rendit à son rendez-vous avec Akin le lendemain en début d'après-midi, elle était épuisée. Elle s'était couchée tard et avait dû se lever tôt, les jours à venir ne promettaient pas non plus d'être des plus reposants.

"Viens donc dormir un peu, lui proposa-t-il.
-Dormir? Mais si je dors, je ne verrai même pas le temps passer avec toi! On est sensé profiter de notre rendez-vous ensemble non?
-Bien sûr, mais tu n'as qu'à dormir dans mes bras... Comme ça, nous serons ensemble, et nous profiterons de notre moment quand même..."

Elle lui sourit puis bailla. Il n'avait pas tout à fait tord, et si elle ne regagnait pas un peu de sommeil, elle avait bien peur de s'écrouler avant la fin de la journée.


Si Târâ n'avait plus mal à la tête, elle n'avait pas non plus la grande forme. Pourtant, elle ne supportait pas de rester enfermée dans la maison. Kâli était à nouveau introuvable, aussi décida-t-elle de se placer dans le jardin et de jouer de sa harpe. Les notes de musique sortaient toutes seules, formant une belle mélodie douce et mélancolique. L'air, que tous les passants appréciaient, n'avait pourtant de sens que pour la jeune femme, qui sentait une immense tristesse l'envahir.

Que se passait-il? Pourquoi ne se sentait-elle pas heureuse comme elle avait pu l'être dans son enfance?


Elle reposa son instrument de musique dans un coin de la maison, et décidé de sortir. Elle erra sans but, se laissant guider par le chant des oiseaux qu'elle aimait tant.

Elle marcha longtemps, près de deux heures, et se retrouva près des grandes cascades que l'on pouvait trouver quelque part entre les deux parties du village.

L'eau se jetait dans le fleuve, et le bruit assourdissant de l'eau ne permettait pas à Târâ de continuer à profiter du joli chant des oiseaux.

Lorsqu'elle se fut repue de ce spectacle, elle continua son chemin.


Elle s'arrêta à nouveau dans un coin un peu plus calme du fleuve. Les oiseaux étaient revenus dans son sillage, et elle décida de se poser dans cet endroit.

Elle posa ses vêtements dans un coin, et entra dans l'eau fraîche pour se remettre les idées en place.

Elle entra doucement dans l'eau, et termina par faire la planche sur le dos. Elle observait le ciel qui commençait à prendre une couleur orangée. La soirée n'allait pas tarder à arriver, et il lui faudrait rentrer à la maison...

Qu'allait-elle y voir? Kâli et Akin? Elle n'était pas dupe, elle savait très bien ce qui était en train de se passer entre eux...


"Oh! Le bébé bouge!
-C'est l'heure?"

Kairos avait rapidement posé ses mains sur le ventre de Lily. Pourtant, elle ne semblait pas inquiète.

"Non, je ne crois pas... Mais c'est pour bientôt! Je crois que j'ai trouvé une idée de prénom, qu'est-ce que tu en dis?
-Je ne sais pas... Peut-être qu'une illumination nous viendra lorsque nous le tiendrons dans nos bras.
-Il vaudrait mieux pour toi... Mais je garde mon idée, si jamais tu n'avais pas de révélation!"


"Notre enfant a de la chance, il va naître dans un beau village... Tu fais tellement de choses pour tout le monde!
-C'est justement pour notre enfant que je fais tous ces changements. Je veux qu'il puisse choisir lui-même sa vie, s'il veut rester ici, partir... Aimer qui il veut et prendre son temps pour choisir, c'est important.
-Et tu as totalement raison."

La nuit étant déjà bien avancée, ils partirent se coucher. L'avenir leur promettait d'être bien rempli, il ne fallait donc pas festoyer toute la nuit.


Tous les matins, Ika profitait de sa nouvelle liberté. Elle partait en effet dans la savane, et prenait le temps d'observer les environs, tous les arbres et les animaux sur lesquels elle n'avait jamais eu le temps de s'attarder.

Cette nouvelle vie lui semblait bizarre, mais elle parvenait tout de même à s'y habituer, et surtout à en profiter. Elle avait encore ce vieux réflexe de ramasser chaque herbe médicinale, et parfois, elle rentrait à la maison avec un grand panier qu'elle donnait à Kâli, ravie de recevoir un peu d'aide.

Ika ne se plaignait pas de cette vieille habitude, elle savait combien cela pouvait être difficile en certaines saisons d'avoir un bon stock de remèdes.


"Toujours pas de nouvelles du bébé? demanda Kâli en se levant le jour suivant.
-Non, rien du tout... répondit Lily. C'est normal?
-Oui bien sûr, il n'y a pas de date précise pour la naissance... Si tu ne sens rien, c'est que ce n'est pas encore le moment! Mais si jamais quelque chose te paraît anormal, n'hésite pas à m'en parler, tu ne dois pas être loin du tout du terme.
-Haha, vivement la délivrance, je commence à avoir si mal au dos...
-Si tu arrêtais de faire tout le ménage aussi! Allez, laisse-moi donc faire cette vaisselle et ça ira déjà mieux. Va t'asseoir, va profiter de la musique...!"

Et elle la poussa en dehors de la pièce.


Lily marcha jusque dans la salle où Târâ faisait ses gammes de la matinée. Elle entra discrètement, et prit place au fond, dans un fauteuil confortable.

La jeune femme ne lui avait toujours pas adressé la parole, et elle se demandait si elle lui en voulait toujours. Elle avait tant grandi depuis ce jour-là, peut-être avait-elle compris la place de l'amour dans nos vies...

Elle semblait pourtant tellement silencieuse, et si nostalgique lorsqu'elle la regardait. Savoir ce que Târâ pensait relevait de l'impossible, que ce soit pour sa belle-soeur ou pour les autres membres de sa famille...


Malgré le travail qu'il devait accomplir en tant que chef du village, Kairos n'oubliait pas pour autant son premier métier: viticulteur.

Il continuait de fabriquer des bouteilles de nectar qu'il ramenait à la maison, pour les entreposer dans des étagères. Là, les bouteilles vieillissaient un peu pour gagner en goût et en texture.

Il ne savait pas toujours quoi faire de ces bouteilles, il lui arrivait donc souvent d'en offrir aux villageois, d'en vendre, ou tout simplement, d'en ouvrir une qu'il buvait en famille.


A nouveau, Kâli avait pris un rendez-vous secret avec Akin.

Elle se sentait complètement amoureuse de lui, il n'y avait plus aucune raison de douter... Elle ne faisait plus que penser à lui toute la journée, et son coeur battait plus fort quand elle le voyait. Toute la journée, elle n'attendait plus qu'une chose, c'était de le revoir.

Elle arrivait toujours la première lors de leurs rendez-vous, et l'attendait avec espoir et impatience. Quand il était là, il pouvait la prendre dans ses bras, la câliner, l'embrasser...

C'était l'occasion pour elle de se détendre et de souffler avec ses lourdes journées.


"Akin...
-Oui?
-Je songe à officialiser notre relation. Au moins l'annoncer à mes parents, et à Kairos et Târâ. Surtout Târâ, elle doit se demander où je suis tout le temps... Je ne veux pas l'inquiéter davantage.
-Vous avez l'air vraiment très proches toutes les deux.
-Oui c'est vrai... J'ai toujours été là pour elle, depuis qu'elle est toute petite. Tu vois, elle a eu du retard dans son développement intellectuel, et j'ai toujours fait en sorte de l'aider, de faire qu'elle soit acceptée socialement... même si elle préférait rester en ma compagnie. Je ne l'en ai jamais empêchée, mais cela devient compliqué avec nous. D'autant plus avec nos rendez-vous secrets."


Akin acquiesça, il comprenait parfaitement.

Leur conversation n'était pourtant plus privée depuis quelques instants. Dès que Târâ avait vu sa soeur sortir en douce, elle l'avait suivie en silence. Elle voulait voir où elle se rendait encore, même si elle était certaine de le savoir...

Et elle ne s'était pas trompée. Encore une fois, Kâli préférait passer son temps en compagnie de ce jeune homme rencontré il y a peu. Qu'avait-il de plus qu'elle?

Ils semblaient si heureux tous les deux... Ils semblaient partager bien plus qu'il n'y paraissait.


Au fur et à mesure que la soirée se déroulait, Târâ sentait les larmes monter en elle. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait, ni ce qu'il se passait. Pourquoi? Est-ce que Kâli ne l'aimait plus?

A la vue du couple qui s'embrassait, son coeur se serra. Elle regardait cette scène sans pouvoir intervenir. A quoi cela aurait-il servi? Kâli n'aurait jamais accepté que sa soeur en vienne à l'espionner... Ce n'était pas correct, et elle le savait. Elle ne pouvait cependant pas s'empêcher de le faire, c'était plus fort qu'elle.

Elle baissa les yeux, puis se dépêcha de rentrer à la maison avant qu'on ne la découvre. Elle s'était fait assez de mal comme cela pour le moment, ce n'était pas la peine d'en rajouter.


Quelques temps plus tard, alors qu'elle était en train d'écrire dans une sorte de journal intime, Akin et Kâli rentrèrent en riant.

"Oh tu es encore debout! s'exclama Kâli. Et bien je... J'ai invité Akin a venir boire un verre à la maison. Ça ne te dérange pas j'espère? Viens donc te joindre à nous!"

Târâ les dévisagea un moment avant de répondre:

"Oh c'est gentil, mais je vais aller me coucher... Je suis fatiguée. Bonne nuit!"

Elle se leva et adressa un sourire à sa soeur. Mais en passant près du jeune homme, elle ne put s'empêcher de lui jeter un regard mauvais, que personne ne surprit...


2 commentaires:

  1. maeleo7/12/15

    C'était à prévoir que Târâ n'accepte pas la relation de sa soeur...
    Faudrait qu'elle comprenne que Kâli peut aimer Akin tout en continuant de l'aimer elle.

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  2. Târâ, je t'adore mais là tu es lassante. la crise de possessivité, c'est bon un temps... Ton frère et ta sœur ont aussi une vie à eux ! Ton comportement infantile risque non seulement de générer des troubles et des conflits mais aussi de se retourner contre toi....

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