10.10.15

Episode 51: Des conséquences funestes


"Ne mange donc pas si vite, tu vas avoir mal au ventre..."

Luhan mangeait d'une traite, ne s'arrêtant de mâcher que pour respirer et boire un peu d'eau. Marina s'inquiétait toujours de le voir avaler ses repas si rapidement, quand bien même il n'avait jamais ressenti les effets d'une indigestion jusqu'à présent: on n'était à l'abri de rien.

"J'ai à faire aujourd'hui maman! rétorqua-t-il en enfournant sa dernière cuillerée."

Et pour cause, l'adolescent avait décidé de s'absenter du foyer aujourd'hui, et d'aller se baigner une fois de plus, à l'insu de sa mère.

Même si la dernière fois n'avait pas été glorieuse, il avait pensé que c'était un coup de malchance, puisqu'il avait rapidement récupéré des forces ainsi que sa chaleur.



Le printemps n'allait pas tarder à revenir, Marina le sentait au plus profond d'elle-même. Le ciel avait retrouvé un bleu pur qui se reflétait dans l'océan. Le soleil brillait et la neige étincelait, et les flocons avaient cessé d'assombrir le ciel.

L'air devenait plus doux, aussi en profitait-elle pour partir à son tour à l'aventure. Elle n'était plus retourné dans le phare abandonné depuis sa dernière sortie, le laissant tout entier à Luhan comme repaire de jeux. Même si elle se demandait qui l'avait construit, il était fort probable qu'elle ne le sache jamais, et préférait ne pas s'en mêler. Après tout, ce n'était pas ses affaires.


Ce qu'elle aimait par dessus tout, c'était monter tout en haut de la plaine, pour avoir une vue imparable du bateau et de sa crique. Le toit était encore recouvert de neige, tout comme les sols et la végétation. Cependant, le bateau n'avait pas coulé, et il semblait même qu'il n'ait pas ressenti le poids de toute la neige tombée.

La jeune femme se félicita intérieurement d'avoir su construire un bâtiment aussi solide. Plus rien ne pouvait donc détruire le navire, s'il avait su résister aux tempêtes de neige de l'hiver, bien qu'il ait été assez court. Elle avait connu des hivers bien plus longs, et bien plus rigoureux que celui-là.

"Il me tarde de revoir le printemps et l'été!"


Mais ce soir-là, un incident vint bousculer les rêves et les envies de chacun.

Luhan ne rentra que bien après le crépuscule, et n'avait même pas pris la peine de remettre ses vêtements.

"Luhan...?"

Malo tourna la tête vers la porte lorsqu'elle s'ouvrit, et il découvrit le jeune homme frigorifié, qui ne cessait de grelotter.

"Mais qu'est-ce qui t'es arrivé?! Tu es trempé, dépêche-toi de venir de réchauffer ou tu vas attraper la mort!"


Malo allait se lever pour lui chercher une serviette, lorsqu'il vit son neveu claquer des dents, et se plier brusquement en deux.

"Luhan!"

Il se précipita à ses côtés et le soutint, évitant ainsi qu'il ne tombe à la renverse. Malo frémit en sentant la peau complètement gelée de son neveu. D'où rentrait-il? Comment se faisait-il qu'il ne portait plus ses habits, et qu'il était trempé?

"Est-ce que ça va? Tu as mal quelque part?"

Arrivant à peine à hocher la tête, Luhan dut faire un effort pour ne pas perdre connaissance.


Se rendant compte que la situation était bien plus grave qu'il n'y paraissait, Malo se hâta d'appeler sa soeur à la rescousse.

"Marina, viens vite!! s'exclama-t-il en traînant le jeune homme avec lui. Apporte des vêtements chauds, des serviettes, Luhan ne va pas bien du tout!
-Quoi?! J'arrive!"

Marina se précipita dans les quatre coins de la maison avant de les rejoindre, et d'y trouver son fils allongé sur le sol. Malo avait préféré l'étendre, avant qu'il ne perde vraiment connaissance.

"Mais que s'est-il passé?!"


Avec mille précautions, on monta le jeune homme à l'étage, et on l'installa dans le grand lit de sa mère. Voyant que cette dernière était aux petits soins pour son fils, Malo les laissa et se retira dans la petite pièce qui leur servait à la fois d'entrepôt et de bureau.

Il se posta face à une vieille carte qu'ils avaient essayé de constituer. Luhan avait essayé de lui expliquer ce qui s'était passé, mais celui lui semblait encore confus. Il nageait tranquillement, lorsqu'un courant marin l'avait soudainement entraîné vers le large. Il avait utilisé toutes ses forces pour revenir, et son corps avait refroidi au fil des heures qui passaient.

Malo n'avait jamais remarqué de courant jusqu'ici, d'où pouvait-il bien venir? Etait-ce le retour des beaux jours qui l'avait amené sur l'île?


Marina était assise auprès de son fils. Bien qu'il soit évident que Luhan avait fait une hypothermie, elle n'osait pas encore le recouvrir d'une grosse couverture, elle avait peur de lui causer un choc thermique en le faisant passer d'une basse température à une trop haute.

"Est-ce que tu te sens mieux?
-J'ai tellement froid, réussit-il à articuler.
-Tu vas bientôt te réchauffer... Je vais aller te préparer un bouillon, il faut que tu reprennes des forces, tu dois être épuisé."

Elle allait se lever, lorsqu'il la retint d'un geste.

"Je suis désolé...
-Désolé de quoi mon ange?"


"Je t'ai désobéi, je suis allé nager malgré ton interdiction...
-N'y pense plus Luhan.
-Si je t'avais écoutée, on n'en serait pas là...
-Chuuut..."

Elle posa une main sur son front. C'était la seule partie de son corps qui semblait avoir retrouvé un peu de chaleur, et elle craignait qu'il n'ait attrapé de la fièvre. Elle soupira, au moins, ses jours n'étaient pas en danger. Du moins, pas pour le moment.

"Je te laisse te reposer..."

Elle se leva, et sortit en direction de la cuisine.


Le jeune homme essaya de se reposer, voire de dormir un  peu. Il se sentait épuisé après cette journée qui tournait en boucle dans sa tête, pourtant il lui était difficile de fermer l'oeil. Que se serait-il passé s'il n'avait pas réussi à rejoindre le rivage? Sa mère ne lui avait-elle pas interdit de se baigner en hiver? Non content de lui avoir désobéi, il était en plus de ça tombé malade. Il sentait son nez se boucher, sa gorge le brûler...

Et son estomac se secouer dans tous les sens. Il s'assit brutalement sur le rebord de son lit, et essaya de respirer calmement. La tête lui tournait malgré le bouillon chaud qu'on lui avait apporté... Il n'était pas sûr de pouvoir se lever en cas d'extrême urgence.


L'urgence se fit pourtant sentir au bout de quelques minutes. Son instinct étant le plus fort, il sauta sur ses deux jambes flageolantes, et dut se diriger vers les toilettes, où le bouillon ne fit qu'un tour avant d'être rejeté.

Luhan sentait la sueur perler à son front, et son estomac qui se contractait toujours, même s'il était à présent complètement vide. Avec un effort surhumain, il retourna dans la chambre, où il s'écroula sous les grosses couvertures qu'on lui avait apportées. Il s'y emmitoufla, encore frissonnant. Dehors, il voyait que la neige avait cessé de tomber, mais elle recouvrait toujours la plaine et la plage.


Marina terminait la vaisselle, bien que personne n'ait beaucoup mangé la veille. Elle avait à peine fermé l'oeil de la nuit, trop inquiète pour son fils. Il avait de la fièvre, et elle avait peur que cela ne fasse qu'empirer avec le temps.

La mer avait déjà emporté un membre de sa famille, serait-elle assez cruelle pour en emporter un second? Marina faisait tout ce qu'elle pouvait pour ne pas laisser éclater son chagrin et sa peur devant son fils, c'était déjà assez difficile pour lui qui se sentait si mal. Mais quelque chose, tout au fond d'elle, ne cessait de l'inquiéter et de lui lacérer les entrailles.

Dans ces moments-là, elle fermait les yeux, tentant de songer à autre chose.


La plupart du temps, cela lui permettait d'oublier les affreuses pensées qui la tourmentaient, mais parfois, ce n'était pas suffisant. Alors elle prenait sa planche à voile, et elle allait faire le tour de l'île.

Ce réconfort était cependant de courte durée, car elle songeait avec tristesse que Luhan aurait pu être à ses côtés. Elle lui avait promis de lui apprendre à faire de la planche, et même de l'emmener avec elle, mais il était dans une incapacité totale de faire plusieurs pas dans la maison, alors sortir... C'était impensable.

Les jours passaient, sans que son état ne s'améliore ou même ne se dégrade.


Ayant du mal à manger quoi que ce soit qui puisse rester dans son estomac, Luhan fut obligé de vivre l'expérience humiliante de se faire laver par quelqu'un d'autre. Malo avait décidé de l'aider à prendre sa douche, faisant tout son possible pour ne pas mettre mal à l'aise le jeune garçon. Ce n'était pas une chose facile, étant donné l'âge de Luhan, dont le corps commençait à grandir et à se transformer, il arrivait à un moment où l'on ne se sentait pas à l'aise dans sa peau.

Les douches lui faisaient pourtant un bien fou: l'eau chaude faisait circuler son sang d'une meilleure façon, et elle effaçait ses traits tirés par la fatigue et la maladie.

Il se contentait d'un signe de tête à l'adresse de Malo, en signe de remerciement.

"Une baignoire ne serait pas du luxe... songea son oncle."


Luhan se recouchait, affreusement fatigué. Il s'ennuyait, à moitié éveillé, à moitié endormi, et les visites qu'on lui rendait n'avaient rien d'attrayant. Sa mère ne cessait de s'enquérir de sa santé, qui ne s'améliorait pas.

"Comment tu te sens?
-Toujours pareil maman...
-Tu n'as pas mal autre part?
-Non."

Et ce faisant, elle lui palpait le torse et le ventre, à la recherche d'un quelconque indice. Lorsqu'elle n'avait plus aucune raison de jouer les médecins, elle s'asseyait près de lui et lui prenait la main. Luhan détestait ces moments, dans lesquels il avait l'impression d'être sur son lit de mort.


"Tout ira bien Luhan... Je suis là."

Il la regarda dans les yeux, et ne put s'empêcher d'y  lire de l'appréhension. Comment pouvait-il être rassuré par une femme qui avait peur de l'avenir?

Les jours passaient sans que sa fièvre ne tombe. Il s'était mis à tousser, malgré l'arrivée du printemps. Marina soupira en regardant son fils dépérir à petit feu. Que pouvait-elle bien faire pour le soulager? Elle était désemparée, elle ne s'était jamais préparée à une telle situation.


"Ne t'inquiète pas Luhan... répéta-t-elle. Dès que le temps me le permettra, j'irai à la recherche d'herbes et de plantes qui te feront du bien. L'an dernier, il m'avait semblé voir quelques plantes médicinales. Je trouverai bien de quoi te guérir!"

Elle remonta les couvertures jusque sous son menton. Luhan n'osait pas lui répondre. Qu'allait-il se passer si elle ne trouvait rien? Ou si ces plantes n'étaient pas appropriées à la situation? Sa désobéissance avait eu des conséquences qu'il n'aurait jamais pu imaginer... Comme il regrettait d'être parti si loin, d'avoir simplement trempé un orteil dans l'eau. Il n'avait eu que ce qu'il méritait oui, mais Malo et Marina n'avaient pas mérité de voir leur existence gâchée de cette façon...

Il détourna la tête de sa mère, et fit semblant de s'assoupir.


Malo attendait sa soeur dans le couloir lorsqu'elle sortit.

"Comment va-t-il? s'enquit-il.
-Pas mieux... Je ne sais pas quoi faire. Je n'ai jamais fait de préparations médicales, et on n'a même pas de plantes qui pourraient le soulager...
-On trouvera une solution. Le printemps arrive, avec son lot de nouvelles plantes. Est-ce qu'il dort?
-Je ne crois pas... Il fait semblant de dormir, je l'ai laissé."

Malo hocha la tête, et frappa doucement contre la porte, avant d'entrer dans la petite pièce qui sentait la maladie.


"Salut mon grand... fit-il en s'asseyant sur le bord du lit.
-Pourquoi...? demanda Luhan. Je sais que je n'aurais pas du désobéir, mais...
-Ce n'est pas de ta faute, tu ne pouvais pas savoir qu'il y avait ces courants. Sois courageux, ça va aller..."

Luhan repoussa les couvertures, et vint se blottir contre son oncle, tel un petit enfant auprès de son père. Malo lui tapota le dos. Personne ne savait ce qu'il couvait, mais il était évident qu'il n'allait pas aller mieux avant un moment, et l'issue de la maladie était incertaine. Il fallait pourtant garder espoir, et surtout, il devait se reposer et se ménager.

"Ta mère et moi on s'occupe de tout, on ne te laissera pas.
-Et si je mourais? Je n'ai encore rien connu de la vie..."

Malo ne sut que lui répondre.


Marina veillait à ce que le feu reste bien allumé et à ce qu'il ne faiblisse pas. Il était important de garder une bonne température intérieure pour que Luhan reste au chaud et ne prenne pas davantage froid. Alors elle alimentait sans cesse le foyer du feu, et Malo ramenait régulièrement des bûches de bois.

La cheminée restait constamment allumée, répandant une douce chaleur dans le bateau. Pourtant, ni Luhan, ni le coeur de Marina et de Malo n'arrivaient à se réchauffer.


L'hiver dura peu de temps comme on l'avait toujours deviné. La neige fondit bientôt tout entière, et la nature reprit ses droits après ce sommeil de quelques semaines. Dès que Marina s'en rendit compte, elle sortit dehors et s'aventura dans les fourrés.

Elle examinait les herbes, les fleurs qui poussaient tout autour d'elle, et cueillait celles dont elle savait qu'elles possédaient des vertus médicinales. Elle n'avait pas le temps de cueillir les plantes inconnues, mais elle se promit de leur accorder son attention si les remèdes classiques ne fonctionnaient pas.

Elle se confectionna ainsi un beau bouquet, et rassembla des bottes d'herbes dans un petit panier.


Elle fouillait le moindre recoin de l'île, qui était assez petite et elle en fit rapidement le tour. Cependant, elle ne rentra pas immédiatement à la maison, et arpenta les chemins plusieurs fois, pour être sûre de n'être pas passée à côté d'une plante particulière.

Elle avait déjà cueilli quelques plantes sensées agir contre la toux et la fièvre, mais cela ne serait sûrement pas suffisant.

Le regard vif et aiguisé, toute la flore passait en détail sous ses yeux acérés.


La flore, mais la faune également. Son coeur se fendit lorsqu'elle ramassa un petit lézard, dont elle connaissait les propriétés des os réduits en poudre: cela fortifiait le coeur et les poumons. Elle n'avait jamais mal agi envers les animaux, et encore moins envers les petits. Mais elle n'avait pas le choix, si elle voulait sauver son fils.

Elle avait beau se voiler la face en sa présence, au fond d'elle, elle savait que la vie de Luhan pouvait très bien basculer d'un jour à l'autre. Son état n'était pas normal, et sa fièvre durait depuis beaucoup trop de jours pour tomber seule à présent.


La neige avait entièrement fondu dans tous les coins de l'île. Les arbres avaient retrouvé leurs feuilles, l'herbe poussait en grande quantité, et le ciel se dégageait petit à petit des nuages d'hiver. L'eau reprenait sa couleur turquoise, toute la nature était vraiment splendide.

Mais qui y-avait-il pour profiter de ces paysages? Les oiseaux eux-mêmes semblaient en deuil, ne chantant qu'un peu à l'aube et au crépuscule. On attendait, comme en suspens.


Pour ne pas tomber en panne d'herbes médicinales, Marina avait décidé d'en planter plusieurs graines en terre. Ainsi, ils auraient toujours un plant de mandragore à portée de main, ce qui pouvait se révéler plus que nécessaire en cas de nausées.

Les mains dans la terre, la jeune femme travaillait ardemment, sans jamais se plaindre ni demander de l'aide à Malo. Elle faisait tout son possible pour en faire le plus possible dans une journée, et le soir, elle se couchait dans son petit sac de couchage tout à fait éreintée. Les journées se suivaient et se succédaient sans vraiment changer les unes par rapport aux autres.


Malgré la fatigue, il arrivait à Luhan de sentir que la fièvre tombait à certains moments de la nuit. Il en profitait donc pour veiller un peu, et lisait avec attention et quelque curiosité les manuscrits de la famille. Les aventures de ses ancêtres l'intéressaient beaucoup, et cela l'aidait à faire passer le temps, avant que la maladie ne reprenne le dessus dans la journée.

Le problème était aussi que durant ces lectures, il se fatiguait au lieu de se reposer. Mais même avec toute la sagesse du monde, il n'aurait pu se passer de ces quelques instants de distraction, qui l'éloignaient de la maladie.


Marina était tellement soucieuse de son foyer, qu'elle se sentait vieillir avant l'âge. Elle n'était pourtant pas si vieille que ça... Il lui semblait que c'était hier qu'elle embarquait à bord du bateau, en compagnie de Malo. Mais cela faisait déjà plusieurs années qu'ils avaient vogué sur les mers, avant d'accoster cette petite île paradisiaque.

Préparant un petit-déjeuner survitaminé pour Luhan, elle se demandait quand est-ce qu'ils auraient l'occasion de partager à nouveau un repas en famille...

1 commentaire:

  1. Pauvre Luhan ! J'espère qu'il va s'en sortir mais quelle idée se baigner dans l'eau glacée ?

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