14.10.15

Episode 52: Alité


Marina prenait un bain de soleil sur le ponton avant du bateau. Depuis quelques jours, l'astre lumineux ne les quittait plus et venait réchauffer tous ceux qui s'exposaient à ses rayons.

Allongée sur une chaise longue, la seule femme du bateau regardait les vagues qui venaient s'échouer sur la plage, et celles qui mouraient contre la coque du navire. La nature environnante était reposante, et c'était toujours bon de souffler un peu en admirant le paysage, qui renaissait après l'hiver.

Les épines de pins devenaient plus vertes encore, la mer bleue reflétait un ciel sans nuage.



Lorsqu'elle se promenait pour se changer les idées, Marina retrouvait de vieux amis, notamment le faucon qu'elle avait soigné et nourri durant l'hiver.

"Bonjour toi! Je suis contente de voir que tu te portes toujours bien. Pour ma part, je vais bien, mais mon fils est tombé malade durant l'hiver... Je ne sais pas encore comment faire pour qu'il guérisse, ça dure déjà depuis plus d'une semaine..."

L'oiseau pencha la tête sur le côté, à la recherche de graines.

"Oh je suis désolée, fit Marina. Je n'ai rien pour toi aujourd'hui!"


Elle avait aussi un autre moyen de se changer les idées, et d'oublier la maladie de son fils: elle prenait son calepin et un vieux crayon de bois, et s'asseyait quelque part pour dessiner.

Ce jour-là, ce fut l'aquarium de Malo qui fut choisit en tant que modèle de dessins. Les poissons ne pouvaient bien sûr pas poser et arrêter de nager, mais avoir un modèle vivant ajoutait de la difficulté à ses dessins.

"Allez mes petits poissons, venez vous montrer..."

Malo pêchait des spécimens de plus en plus magnifiques, et l'aquarium ressemblait trait pour trait à un fond marin miniature.


Ce dernier passait d'ailleurs beaucoup de temps au bord de l'océan, sa canne à pêche à la main, attendant que le poisson ne morde à l'hameçon. S'il essayait de ne rien laisser paraître, il était pourtant lui aussi tout aussi inquiet à propos de l'état de santé de son neveu. Il savait que le poisson était bon pour la santé, aussi en rapportait-il autant qu'il pouvait. Marina pouvait ainsi préparer de bonnes bouillies fraîches, qui redonnaient toujours un peu de couleurs aux joues de Luhan.

La pêche n'était pas facile cependant, notamment lorsqu'il devait remonter les grosses écrevisses, dont les pinces l'avaient blessé plus d'une fois.


Ce fut lors d'une de ces journées de pêche, qu'il se décida à ne pas rentrer tout de suite après la partie. Il avait emporté une petite hache avec lui, et était bien décidé à abattre un des arbres qui peuplaient l'île. Ils ne manquaient bien sûr pas de bois pour nourrir la cheminée, - qui plus est l'été apportait de grosses chaleurs-, mais Malo était bien décidé à construire une baignoire pour son neveu.

Il avait remarqué à quel point l'eau lui faisait du bien, mais aussi que prendre sa douche à l'aide de quelqu'un le mettait mal à l'aise. Une fois allongé dans la baignoire, il pourrait se laver seul, ce qui ne pouvait être que positif pour son état d'esprit.


"Ça va aujourd'hui? demanda Marina lorsqu'elle prit place auprès de son fils."

C'était la question éternelle, qu'elle posait toujours en espérant voir une amélioration. Mais la fièvre était loin de tomber, et le moral de Luhan diminuait en conséquence.

"Est-ce que tu crois que c'est une punition?
-Une punition?
-Pour t'avoir désobéi...
-Qu'est-ce que tu racontes...
-Peut-être que des forces surnaturelles ont voulu me donner une leçon.
-C'est la fièvre qui te fait dire des bêtises. Tu n'y es absolument pour rien si tu es malade."

Elle remonta à nouveau les couvertures sous son menton.


"Maman? murmura-t-il après un moment.
-Oui qu'y-a-t-il?
-Tu crois vraiment que je vais guérir?
-Bien sûr! répondit-elle vivement. Pourquoi n'en serait-il pas ainsi?
-Je ne suis pas sorti depuis des semaines... Et je n'ai pas l'impression que mon état s'améliore.
-C'est parce que tu es encore fatigué, fit-elle incertaine."

Luhan ne répondit pas, mais il avait capté toutes les inquiétudes de sa mère. Contrairement à elle, il commençait à se faire une raison, et à penser qu'il lui faudrait finir sa vie au lit.


"Les étoiles sont bien visibles, ce soir."

Malo était entré dans la pièce où la jeune femme regardait dehors, et il avait tout de suite remarqué son air mélancolique.

"C'est vrai, et pourtant j'ai l'impression que l'hiver est encore là."

Le jeune homme acquiesça silencieusement, comme s'il refusait délibérément de comprendre les sous-entendus de cette phrase.

"Ce n'est qu'une impression."


Marina se tourna alors vers lui.

"Tu sais, plus j'y réfléchis et... plus je ne vois pas comment les choses pourraient s'améliorer.
-Il faut du temps, c'est tout. Son état s'est stabilisé depuis quelques jours, tu l'as bien remarqué non?
-Oui, mais... aucun des remèdes que j'ai pu lui administrer ne s'est révélé efficace. Alors j'ai pensé qu'on devrait partir.
-Partir?
-Oui, s'en aller d'ici. Cette île ne nous a rien apporté de bon, et avec un peu de chance, on pourrait trouver des gens qui nous viendraient en aide. Ce qu'il nous faut, ce sont des médicaments, et pas du temps... Du temps, on en manque justement.
-Je vois... Je vais prendre le temps d'y réfléchir alors, un départ, ça ne se fait pas comme ça..."


Marina hocha la tête, elle était soulagée d'avoir pu se confier, et de voir que son frère lui faisait toujours confiance. N'avait-elle pas prouvé qu'elle était incapable de soigner son fils? Elle était restée debout toute la nuit pour y réfléchir, et elle ne voyait pas d'autres solutions. Ce qu'ils avaient sur l'île ne pouvait pas soigner le mal de Luhan, il fallait donc aller chercher un remède ailleurs.

Les papillons venaient coloniser les fleurs qui avaient poussé en grande quantité. Lorsqu'elle en vit un se poser sur la paume de sa main, un pauvre sourire naquit sur les lèvres de Marina.

"Vit petit papillon... Vit, et envole toi très loin..."


Malo avait rendu une petite visite à son neveu, qui était réveillé depuis quelques minutes.

"Ça te dirait, un bain chaud?
-Un bain...?"

Il lui avait alors annoncé qu'il avait construit une baignoire pour qu'il puisse se prélasser, et Luhan ne l'avait pas cru jusqu'à ce qu'il la voit de ses propres yeux. Il n'avait pas su comment lui exprimer sa reconnaissance, et s'était laissé allonger dans la baignoire avec un grand bonheur. L'eau vint l'envelopper de sa chaleur, et il sentait en même temps l'air frais et sain de l'été lui gonfler les poumons.

"Le grand air te fera tout autant de bien, fit Malo. Je suis à l'intérieur, appelle-moi quand tu as fini."

Et il le laissa tout à son intimité.


Luhan regarda l'horizon droit devant lui, cela faisait longtemps qu'il n'avait pu observer la mer de cette façon. Cloué au lit, ne se levant que pour prendre une douche et aller aux toilettes, il n'avait pas eu le temps de regarder ce qui l'entourait.

La situation n'était pas fameuse, et plus les jours passaient, plus il se sentait fatigué. Fatigué, épuisé, las de tout. Des remèdes infects que sa mère lui apportait, des incessants aller-retour aux toilettes lorsque son estomac se manifestait, de ne pouvoir se laver seul, d'être redevenu un poupon dont on devait s'occuper vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Quand tout cela prendrait-il fin? Il eut un quinte de toux, et Malo vint immédiatement voir si tout allait bien.


Marina accrochait son dernier crayonné au mur. De mémoire, son père avait toujours eu cet air reposé, tranquille, en toutes circonstances. Que lui dirait-il à présent? Que ferait-il pour la rassurer? Elle se rendait bien compte à quel point il lui manquait, maintenant qu'il n'était plus là pour lui prodiguer ses bons conseils.

Aurait-il eu quelques bonnes paroles vis-à-vis de la santé de Luhan, ou aurait-il été réaliste? Il y avait de toutes façons peu de chance qu'il soit encore envie... Lui et Kiyo étaient bien âgés lorsqu'elle avait décidé de partir. Il était trop tard pour faire marche arrière.

"Papa..."


Les livres s'empilaient les uns sur les autres près du lit de Luhan. Après avoir dévoré l'histoire de sa famille, il s'attaquait aux petits manuels que sa mère avait écrits: il était tout particulièrement intéressé par le plan qu'elle avait conçu de sa planche à voile.

"Et dire qu'on devrait être en train de flotter ensemble sur les vagues..."

S'il devait s'en sortir un jour, il se promit que lui aussi, il irait dompter les vagues. Son coeur se serrait à cette pensée, lui qui avait tellement rêvé de partager des moments de complicité avec sa mère, ne la voyait plus que cloué au lit.


Avec ses croquis, Marina essayait de rendre la maison un peu plus gaie.

Elle avait perdu toute inspiration pour construire de nouveaux objets, et la seule chose qu'elle sache encore bien faire pour passer le temps, c'était dessiner des croquis. Elle rassemblait ses souvenirs, des images de son enfance, du voyage effectué jusqu'ici, et elle dessinait. Elle jetait la plupart des résultats, qui ne représentaient absolument rien et ressemblaient davantage à des gribouillis, mais elle se sentait le coeur plus léger après cela.


Luhan continuait de dormir toute la journée. Parfois, il luttait contre la fatigue et le sommeil, mais ces derniers l'emportaient toujours, le laissant dans de profondes insomnies la nuit. Son rythme de vie se décalait, mais il ne pouvait rien y faire. Il ne pouvait plus lutter, cela devenait trop difficile. Il se laissait alors bercer dans un sommeil faible, à moitié conscient de ce qui se passait autour de lui.

Parfois, il entendait Marina et Malo parler à voix basse dans le couloir.  Il savait qu'on parlait de lui, et qu'on s'inquiéter. Ils ne pouvaient pas le lui cacher, il sentait combien ils avaient peur. Avait-il vraiment peur, lui? Il ne savait pas, il avait appris à se résigner, quelque part, et acceptait son destin, quel qu'il soit.


Les insomnies l'assaillaient quand tout le monde dormait, si bien qu'il n'en avait jamais parlé. A quoi bon? De toutes façons, il ne voulait plus boire les infusions que sa mère lui préparait. Tous ces remèdes commençaient à le dégoûter, mais dès qu'il pensait à avaler quelque chose de plus consistant, la nausée lui venait. Il était arrivé à un point où, en manque de force, la tête lui tournait dès qu'il faisait le moindre effort.

Pour s'occuper la nuit, il lui arrivait de se mouvoir jusqu'au bureau en réunissant ses forces, et il faisait quelques exercices comme sa mère lui avait appris. Il aimait bien écrire, et il songeait lui aussi à écrire un petit manuscrit, comme sa mère avant lui.  Mais pour le moment, il n'avait pas la concentration nécessaire pour cela.


Marina avait aussi des nuits agitées. Allongée près de la fenêtre, elle observait les étoiles en silence. Il lui arrivait de se réveiller jusqu'à cinq fois par nuit, en proie à des angoisses nocturnes que seul le jour pouvait chasser. Alors elle attendait que le soleil se lève, pendant des minutes, pendant des heures.

Elle n'osait pas bouger, ni même aller voir comment se portait son fils. Elle sentait bien qu'elle l'étouffait durant la journée, alors elle préférait le laisser tranquille la nuit.

"Luhan... Je t'aime..." murmurait-elle parfois dans son sommeil.


Mais Luhan, qui ne l'entendait pas, fut  nouveau la victime de terribles nausées au moment où il rejoignait avec difficultés son lit.

"Oh non, ça recommence..."

Quel avait été son dernier repas? Il ne s'en souvenait même pas, il ne faisait que boire des infusions et des tisanes. Il avait de temps à autre le droit à une petite bouillie, mais rien de plus. Plus le temps passait, et plus il se disait ressembler à un nourrisson.


Le chemin jusqu'aux toilettes lui parut atrocement long, et il crut ne pas arriver à temps au-dessus de la cuvette.

Il s'écroula au sol, et se pencha avec difficulté, crachant et rendant tout ce qu'il pouvait. Le corps secoué de spasmes, il ferma les yeux pour empêcher les larmes de couler. La colère grondait en lui, la colère mais aussi l'incompréhension. Ce qu'il vivait était un calvaire, et peu lui importait que l'issue de sa maladie lui soit fatale ou non. Tout ce qu'il voulait, c'était savoir si tout cela allait un jour se terminer, et quand. Ce n'était pas une vie, mais un supplice dans lequel il devait garder la tête haute pour sa mère.


En prévision du prochain voyage qu'ils allaient sans doute effectuer, Marina s'occupa de la maintenance du bateau. Les mécanismes étaient un peu rouillés, et elle devait s'assurer que le navire fonctionnait toujours aussi bien. Elle comptait également laver la coque pour plus de flottabilité, et il ne faudrait pas non plus négliger le garde-manger. Qui saurait combien de temps durerait leur prochaine traversée?

Avec l'expérience acquise, elle décida aussi d'ajouter des roues dans l'eau, permettant au bateau de fendre l'eau avec un peu plus de rapidité.


Les plants de mandragore et de réglisse poussaient avec une étonnante régularité, donnant une récolte fournie à Malo. Il prenait soin de ces plantes que Marina lui avait ramenés, et qu'elle laissait ensuite infuser dans de l'eau chaude. La réglisse permettait à Luhan de garder quelque chose au fond de l'estomac, et la mandragore était censée atténuer la fièvre.

Cependant, il avait remarqué tout comme elle que les effets se voyaient peu, quand ils ne se révélaient pas inefficaces certains jours. Lui qui avait toujours gardé bon espoir commençait à désespérer, et ne savait plus que cultiver pour apaiser les souffrances de son unique neveu.


Marina lui avait parlé de partir d'ici, et il commençait à croire que c'était peut-être la meilleure des choses à faire. Mais qu'allait-il se passer si Luhan ne supportait pas la traversée? Est-ce que le mal de mer pouvait détériorer son état, encore plus qu'il ne l'était? Auraient-ils assez de réserves, de plantes pour le guérir? Il y avait tant de questions à se poser, tant de choses dont ils ne seraient pas certains avant de les avoir vécues.

Mais Malo savait bien aussi que s'ils restaient ici, Luhan n'aurait aucune chance de s'en sortir. Cela faisait des semaines qu'il était dans cet état, et il n'avait pas vu une seule amélioration, bien au contraire. Ils n'avaient pas le choix, ils devaient partir. Il demanderait à sa soeur quand les réparations seront terminées, et ils s'en iraient dès que possible.


Mais la santé de Luhan s'altéra subitement un soir, alors qu'elle était toujours passée par des stades plus ou moins semblables.

Marina avait voulu tester une nouvelle plante, dont il fallait absorber les écorces.

"Je n'ai pas envie maman, ça ne servira à rien...
-Mange Luhan, je t'en prie. Ça te fera certainement du bien, cette plante doit normalement te faire dormir et t'aider à récupérer! Tu as besoin de reprendre des forces..."

L'adolescent soupira, et pour faire plaisir à sa mère, avala les écorces.


A peine avait-il avalé qu'un horrible goût amer lui remonta dans la bouche.

"Luhan??!"

La main devant la bouche, le jeune homme fit de son mieux pour ne pas rendre à nouveau ce qu'il venait d'avaler. Mais un mal de tête vint l'assaillir tout à coup, le plafond se mit à tourner.

"Luhan dis quelque chose! le supplia sa mère.
-C'est dégueulasse ton truc!"

Il s'écarta d'elle et courut une nouvelle fois au-dessus des toilettes.


Marina le suivit, attrapant au passage des serviettes de toilette pour le rafraîchir et le débarbouiller une fois qu'il aurait terminé.

Mais quand elle arriva auprès de lui, son visage prit une expression horrifiée. Toussant à n'en plus pouvoir, elle découvrit que Luhan, blanc comme un linge, crachait du sang.

2 commentaires:

  1. Pour le scénario, je te hais, comme d'habitude. Mais je tenais aussi à souligner - je ne le fais pas assez souvent - la remarquable beauté de tes images, de tes décors, de tes cadrages... Tes images sont magnifiques.

    RépondreSupprimer
  2. Je te déteste ! Tu sais toujours arrenter là où il faut ! Je veux la suite ! Et si Luhan meurt, je ... je ... passe sous une échelle !

    RépondreSupprimer