Episode 135: Le retour à la vie

Quand Arwen ouvrit les yeux, allongés sur le lit, la première chose qu'il remarqua, ce fut le magnifique ciel bleu qui illuminait l'île. Il sauta immédiatement du lit, et découvrit avec merveille les palmiers, les buissons, et bien entendu, le magnifique océan qui léchait les plages de l'île. Tout était à nouveau devenu normal, et il en fut soulagé. Pourtant, quelque chose devait troubler ce repos à peine né:

"Dites, où est-ce qu'on est?"

Sera comme Arwen tournèrent la tête dans la même direction, et ils tombèrent sur la chevelure blonde de leur fille. Comme si le voyage dans le temps avait eu des effets secondaires sur elle, elle avait pris plusieurs centimètres, et semblait avoir l'âge d'une fillette de sept ans.

"Nous... nous sommes revenus chez nous, répondit Sera mal assuré. C'est ici que se trouve notre vraie maison."

Ils se rhabillèrent, puis Arwen décida qu'il fallait rentrer immédiatement à la maison, et le plus rapidement possible. Quelque chose lui semblait anormal, et il avait un mauvais pressentiment.

"Ne va pas aussi vite, le prévint son compagnon.
-Si, dépêchons-nous... Je sens que quelque chose ne va pas.
-Quoi donc? Vitae a grandi, mais c'était inévitable tu ne crois pas?
-Regarde-toi. Regarde-toi un peu! s'exclama-t-il en accélérant le pas.
-Quoi, qu'est-ce que j'ai?
-Et moi, tu ne vois rien de changé en moi?"

Il s'était arrêté brutalement pour que Sera l'examine, et ils prirent alors tous deux une mine soucieuse.

"Tu... On dirait que... que tu as pris de l'âge...
-Et toi aussi. Alors rentrons, et vite."

Pour eux, ce qui était encore leur maison était en réalité le foyer qui appartenait à Odin et Maëva. Arwen serra la main de sa fille dans la sienne, et ils grimpèrent sur le perron.

Vitae ne comprenait pas toute cette inquiétude, elle était plutôt à s'émerveiller de ce qui l'entourait, elle n'avait jamais rien vu d'aussi beau et d'aussi coloré. Tout respirait la joie de vivre, et elle se sentait heureuse d'être ici, sans comprendre les enjeux qui lui avaient permis d'être en vie.

"Viens Vitae, lui fit Arwen en la tirant par la main.
-C'est ici notre maison?
-Oui, c'est ici. Ta chambre sera de ce côté-là, mais la cuisine et le salon sont par ici. Viens, il faut que nous entrions.
-Attends... le stoppa Sera. Je vais rentrer en premier. Juste... pour vérifier.
-D'accord."

Il poussa la porte, et entra dans l'obscurité de la maison. Il alluma la lumière, puis les appela pour qu'ils le rejoignent.

L'intérieur était exactement comme ils l'avaient laissé, cependant, ils constatèrent que la maison était vide: il n'y avait trace ni d'Odin, ni de son épouse.

"Où sont-ils... murmura Arwen pour lui-même."

Sera posa une main réconfortante sur son épaule, qu'il décida d'ignorer. Il devait bien y avoir une raison à leur absence, une raison autre que l'odeur de renfermé qui régnait, comme si personne n'était venu depuis plusieurs années.

"Je crois que... commença Sera.
-Attends. Il y a quelqu'un qui arrive, je l'entends!"

Arwen se précipita à l'extérieur, pour accueillir la personne qu'il avait entendue.

Il fut à la fois déçu et soulagé en découvrant qu'il s'agissait de son frère, Neven. Déçu parce qu'il n'était toujours pas réconforté à propos de ses parents, mais soulagé, parce qu'il allait pouvoir le lui demander.

"Neven, te voilà!
-Oh, Arwen! Je... Je ne pensais pas te revoir ici, ça alors!
-Où sont papa et maman? demanda-t-il de but en blanc.
-Ah... Ils nous ont quittés il y a quelques années déjà.
-C'est... C'est impossible! Nous ne sommes partis que quelques jours à peine!! s'exclama Arwen pris de panique.
-Mmhm? Je ne m'en souviens pas."

Le jeune homme fronça les sourcils, Neven se comportait vraiment de façon étrange. Cependant... Qui était l'adolescent qui l'accompagnait? Ce ne pouvait pas être... Julian?!

"Voici Julian, il a du bien grandir depuis la dernière fois que tu l'as vu, fit Neven comme en réponse à ses questions silencieuses.
-En effet... dit-il toujours sous le choc. Mais je ne comprends pas...
-Quoi donc?
-J'ai l'impression de n'être parti que quelques jours, et... on dirait que des années se sont écoulées ici!"

Neven hocha la tête, compréhensif.

"Il paraît que c'est ce qui peut se produire, après usage de ce type de programme. Moi aussi, j'ai l'impression que tu n'es parti qu'hier, mais pourtant...
-Et donc tu ne t'es rendu compte de rien? Ni de mon absence, ni des années qui passaient?
-C'est ça."

Neven paraissait beaucoup trop calme. Le Neven qu'il connaissait n'aurait jamais pris aussi bien la nouvelle, que lui était-il arrivé?

"Est-ce que tu te sens bien? lui demanda-t-il.
-Très bien. Pourquoi?
-Je ne sais pas, tu as l'air... différent.
-Parfois, les gens changent tu sais.
-Je veux bien te croire, mais de là à devenir l'opposé de ce que tu étais... Avant mon départ, tu aurais été furieux si tu avais vu à quel point le temps s'était détraqué. Et tu sais, j'ai découvert des choses...
-Ecoute Arwen, la vie est ainsi faite, tu crois que nous y pouvons quelque chose?
-Mais évidemment! Je crois que Sera et moi avons voyagé dans le temps, et..."

Neven lui fit signe de se taire, et posa une main sur son bras.

"Tu devrais vraiment refréner tes ardeurs tu sais. Tout ça ne devait être qu'un rêve, rien de plus.
-Je sais ce que j'ai vu.
-Ce que tu as rêvé. Tu étais allongé dans un lit, et je suis certain que les scientifiques pourraient te le confirmer. Bien, j'ai à faire, à plus tard!"

Et il s'en alla, laissant son petit frère totalement coi.

"Il ne faut pas lui en vouloir..."

C'était Julian qui venait de prendre la parole, et il s'avança vers son oncle, à qui il serra la main.

"Il n'était pas comme ça, avant.
-Je le sais bien Julian... Que s'est-il passé?
-Je ne sais pas vraiment... C'était il y a quelques temps, après que tu sois parti. Un matin, il s'est réveillé comme ça, et depuis... il n'a plus jamais été le même. "

Il sourit tristement, en repensant au père qu'il avait perdu. Neven avait toujours été le premier à rire et à se moquer des lois. A présent, il était devenu un père stricte et autoritaire, qui ne supportait pas qu'on se moque des hautes instances, et qui n'aimait pas les personnes un peu trop volages.

Arwen sentit son coeur se serrer.

"Sache que tu seras toujours le bienvenue chez nous, signala-t-il à son neveu."

Il rentra à l'intérieur de la maison, et s'installa près de Sera, qui regardait les informations.

"Des nouvelles importantes?
-Pas vraiment... Enfin, ce sont toujours les mêmes. Tout va bien sur l'île, ce genre de choses.
-Je vois. Je viens de parler à mon frère.
-Qu'a-t-il dit?
-Il m'a sorti que tout ce que nous avions vu était un rêve, que ce n'était pas la réalité.
-Tu es sûr d'avoir parlé à ton frère, et pas à quelqu'un d'autre? dit Sera en fronçant les sourcils.
-J'aimerais que ça soit le cas, mais il n'en est rien."

Sera secoua la tête.

"Ton frère était le premier à dire que nous étions manipulés et que quelque chose se tramait... Il ne peut pas accueillir une telle nouvelle de cette façon. C'est impossible.
-Il a totalement changé, si tu l'avais vu..."

La seule qui semblait bien au-delà de ces préoccupations, c'était la jeune Vitae. C'était la première fois qu'elle voyait autant de vie autour d'elle, et surtout, que ses parents l'avaient laissée sortir seule. Apparemment, elle ne risquait rien, et c'était la raison pour laquelle on la laissait vagabonder à sa guise.

Plantée devant la maison, elle regarda Julian s'en aller. C'était donc lui, son cousin? Il était déjà grand, elle doutait qu'il veuille bien jouer avec elle...

Y-avait-il d'autres enfants quelque part sur cette île? Elle ne voulait pas jouer seule, et elle espérait se faire rapidement des amis.

Elle sortit de l'enceinte de la demeure, et marcha tranquillement sur le chemin, profitant de chaque fleur, et de chaque nuage blanc qui passait dans le ciel.

Elle s'arrêta devant le parc pour enfants: il était vide, sans doute parce que les élèves étaient encore tous dans les classes. Ils étaient revenus au beau milieu de l'après-midi, aussi n'y avait-il pas grand-monde à rencontrer. Elle s'élança alors au milieu des jeux, courant et sautant partout.

Vitae avait très peu de souvenirs de sa petite enfance. Elle se rappelait le visage de ses deux pères, penchés au-dessus de son berceau, et aussi de quelques colères qu'elle avait piquées lorsqu'elle était très contrariée.

Il y avait aussi eu la grisaille. Très tôt, depuis son berceau, elle avait pu voir au dehors, observer les gens, toujours tristes avec la tête baissée, le brouillard de pollution qui englobait toute l'île... Voilà les seuls souvenirs qu'elle avait ramenés de cet incertain futur.

Lorsqu'elle rentra, elle vint s'asseoir devant la télévision. Sera avait mis la chaîne des dessins animés, ce qui l'enchanta: elle avait toujours voulu rester devant cet écran, mais jusqu'à présent, ses parents l'avaient trouvée trop jeune pour ça.

"Tu t'es bien promenée? lui demanda son père.
-Oh oui! C'était fantastique! L'herbe verte, le ciel si bleu, et on entendait même le bruit de la mer!
-J'espère que tu te sentiras bien ici, sourit-il. C'est ici que nous habitons maintenant, c'est là qu'est notre vraie place.
-Les messieurs de tout à l'heure, ils sont de notre famille?
-Oui. Il y avait Neven, ton oncle, c'est le frère de papa Arwen. Et son fils, Julian, ce qui fait de lui ton cousin.
-Il n'avait pas vraiment l'air de s'amuser mon cousin!
-Peut-être qu'il était contrarié."

Mais Sera savait que le comportement de Neven y était pour quelque chose. C'était pourquoi il avait emprunté à la bibliothèque autant de livres que possible, pour connaître les événements des dernières années.

Quand Arwen rentra, il inspecta la maison de fond en comble. C'était bon de revenir chez soi, même s'il lui semblait ne pas être parti depuis si longtemps.

"C'était ici ma chambre, dit-il à sa fille. Maintenant, elle est à toi!"

Après concertation, ils avaient décidé de rester vivre dans la maison de Odin et Maëva. Leur disparition soudaine leur faisait penser qu'il y avait peut-être des indices dans cette maison, des indices qui leur permettraient d'avancer sur le chemin de la vérité.

Il attrapa une planche en bois, et commença à dessiner un schéma de l'île, pour la présenter à Vitae.

"Tu vois, c'est ici que se trouve le centre. C'est là que tu iras à l'école, bientôt. Nous devons officialiser ton inscription."

Mais la fillette ne l'écoutait que vaguement, trop occupée à regarder la télévision. Ce ne fut que lors du dîner qu'elle y repensa, et qu'elle commença à poser des questions.

"Est-ce qu'on est obligé d'y aller, à l'école?
-Bien sûr, répondit Sera. Tous les enfants y vont!
-Et qu'est-ce qu'on fait là-bas?
-On apprend. Tu vas apprendre à connaître l'île, ses coutumes et ses lois, à lire et à écrire aussi, ce genre de choses. Ce sera fascinant, tu verras!"

La fillette fit la moue, elle n'était pas très convaincue par ce discours. Elle aurait bien aimé pouvoir s'amuser tous les jours comme elle l'avait fait aujourd'hui, mais il semblait que le voyage dans le temps lui avait volé quelques années, et qu'il était déjà temps pour elle de devenir plus sérieuse.

"Moi, j'aimerais bien rester à la maison! dit-elle en passant sous les draps de son nouveau lit.
-Tu sais, l'école ne dure pas toujours, et ce n'est pas non plus toute la journée. Un peu le matin, et un peu l'après-midi: le reste du temps, tu pourras faire ce que tu veux!
-Vraiment?
-Bien sûr. Je t'emmènerai sur la plage, tu verras comme c'est beau!"

Vitae s'installa confortablement dans son lit, et écouta attentivement Arwen lui décrire les paysages de l'île. Elle avait l'impression de rêver tout éveillée, et la réalité devait être encore plus belle que ce qu'elle imaginait.

Elle s'endormit rapidement, et son père déposa un baiser sur sa chevelure blonde.

"Bonne nuit, dors bien."

Le lendemain matin, Sera téléphonait au centre pour leur faire part de la situation de la jeune Vitae. Les formalités furent rapides, et il fut convenu que la fillette pourrait se rendre à l'école dès le jour suivant.

"A-t-elle déjà connaissance des fondements de l'île? demanda-t-on.
-Oui un peu, nous essayons de lui enseigner les bases avant qu'elle n'entre à l'école, mais c'est une petite fille vive et pleine d'esprit.
-Mmhm... je vois, lui répondit-on d'une voix peu convaincue. Il faudra certainement lui faire passer des tests pour évaluer son niveau.
-Pas de problèmes. Nous ferons tout pour que son éducation se passe au mieux.
-Au revoir monsieur.
-Au revoir!"

Il raccrocha, légèrement étonné. Il avait eu l'impression qu'on mettait ses capacités à élever sa fille en doute, et il ne savait pas pourquoi.

"Alors, comment tu trouves notre retour à la maison? demanda Arwen tout en se brossant les dents.
-C'est bon de rentrer chez soi. Tu n'es pas d'accord?
-Si, je n'en pouvais plus d'être là-bas... Même si j'aurais aimé... que mes parents soient toujours là.
-Dis-toi qu'on n'est jamais préparé, de toute façon. Ces choses-là ne se planifient pas.
-Je ne m'habitue pas non plus à ce qu'est devenu Neven... poursuivit-il.
-Nous trouverons ce qui lui est arrivé."

Arwen se rinça les dents, avant de continuer.

"Alors on est bien d'accord. Il lui est arrivé quelque chose, il n'est pas devenu comme ça naturellement.
-J'en suis persuadé. L'ami qu'il était ne serait jamais devenu aussi froid et distant, aussi maître de lui-même. C'est tout juste s'il m'a salué quand il m'a vu."

"Bien, et si on sortait?
-Oh oui! Tu avais dit qu'on ira voir la mer! s'exclama Vitae.
-Oui, on va y aller! Il y a la piscine que tu dois voir aussi. Tu verras comme tout est beau!"

Ils se préparèrent rapidement à sortir, et laissèrent la maison derrière eux. Sera comme Arwen étaient impatients de faire découvrir l'île à leur fille. Là où elle était née, il n'y avait eut que grisaille et tristesse, il était grand temps de lui montrer que la vie et la nature avaient d'autres choses à leur offrir.

Ils s'installèrent à la piscine la plus proche de la mer, et posèrent leurs affaires dans un coin. Sera se posa sur une chaise longue, pour les surveiller et prendre le soleil qu'il n'avait pas vu depuis longtemps, et Arwen, quant à lui, prit place sur les pierres chaudes.

Il avait apporté un carnet avec lui, bien décidé à raconter leur périple à travers le futur.

Vitae était si heureuse, qu'elle courait et sautait partout.

Elle aimait la piscine, les fleurs, le toboggan, mais aussi le plongeoir, l'odeur de chlore qui émanait du bassin, et le soleil qui venait lui réchauffer la peau.

Elle découvrit derrière un gros buisson un accès simple et rapide à la mer. Elle fut émerveillée par le bruit des vagues, la sensation du sable sous ses pieds, et de voir combien l'océan pouvait être vaste.

Elle avait l'impression de naître une nouvelle fois, comme si sa vie ne débutait réellement que maintenant.