11.12.15

Episode 73: Coeur blessé


Cosmos s'éveillait doucement à la vie qui l'entourait. Il aimait passer du temps avec tous les membres de sa famille, surtout ses grands-parents qui le gâtaient, pendant que son père et sa mère s'occupaient à la fois du foyer et du village.

Târâ passait de bons moments en compagnie de son neveu, mais être à ses côtés n'était pas aussi enrichissant qu'être avec Kâli ou Akin. Où pouvaient-ils bien se trouver d'ailleurs?

Il ne lui fallut pas beaucoup de temps avant de les retrouver: ils s'embrassaient à quelques pas de la maison. La jeune femme ne comprit pas tout de suite ce qui était en train de se passer... Elle avait l'habitude maintenant de les voir l'un contre l'autre. Ils s'aimaient, et tout le monde s'accordait à dire que c'était un comportement normal entre deux amants...




Et pourtant... A la vue de leurs lèvres jointes, des grandes mains fermes d'Akin qui se promenaient dans le dos de Kâli, Târâ sentait son coeur se serrer. Ils riaient. Oui, ils étaient heureux tous les deux... Ils semblaient goûter un bonheur qu'elle ne pourrait jamais effleurer des doigts.

Elle resta un long moment sur le pas de la porte à les regarder. Son corps semblait s'être figé, elle n'arrivait plus à bouger. Pourtant, il fallait qu'elle s'en aille. Elle ne pouvait pas continuer à les regarder comme ça indéfiniment, elle savait qu'elle se faisait du mal plus que tout autre chose...

"Kâli... Akin..."

Elle tendit une main dans leur direction, puis se ravisa.


Elle se retourna soudainement, et courut dans la direction opposée. Elle traversa les allées du village qu'elle quitta la plus vite possible, et continua à courir sans but réel. Elle voulait juste s'éloigner d'eux, partir le plus vite et le plus loin possible...

Elle ne faisait pas attention aux endroits où elle posait les pieds, si bien qu'il lui arrivait de trébucher, et même de tomber à plusieurs reprises. Cela ne l'empêcha pas poursuivre sa course. Elle se releva, et commença à longer le long fleuve en direction du volcan, là où il prenait sa source.

Elle faisait de son mieux pour retenir les larmes qui coulaient sur son visage, et son coeur qui menaçait d'exploser dans sa poitrine. Elle avait tellement mal... Elle sentait bien que ce n'était pas une douleur que les remèdes de sa soeur pouvaient guérir.


Alors que le soleil était en train de se coucher, elle se laissa tomber à genoux près du fleuve orangé. Elle serra ses bras autour de son corps, comme pour avoir une présence humaine à ses côtés... sauf qu'elle se trouvait seule.

Elle ne comprenait pas... Qu'était-il en train de lui arriver? A chaque fois qu'elle voyait Akin, elle se sentait heureuse, de meilleure humeur. Sa compagnie lui faisait beaucoup de bien, elle attendait ses visites avec impatience. Pourtant, dès qu'il lui tournait le dos et partait avec Kâli... Elle sentait son coeur blessé comme jamais. Pouvait-on saigner de l'intérieur? Elle aussi aurait aimé passer des moments comme ceux-là avec lui... Elle sentait... elle sentait qu'elle pouvait qu'il la prenne dans ses bras. Qu'il l'embrasse.

Oui, c'était une chose qu'elle désirait vraiment.


Târâ sentit une larme couler sur sa joue. Etait-ce un crime que de tomber amoureuse de l'amant de sa soeur? Elle n'en savait rien, personne ne lui avait jamais parler d'amour... Est-ce que l'on pensait que personne ne voudrait jamais d'elle, parce qu'elle était trop bête et trop différente des autres femmes?

Personne ne lui avait jamais dit ce que cela faisait d'aimer, et pourtant, elle était absolument certaine d'être tombée amoureuse d'Akin... C'était comme une évidence au fond d'elle-même. Aimer, c'était vouloir être en compagnie de celui qu'on voulait, rire avec lui, passer de bons moments... C'était cela qu'elle voulait.

Mais Akin passait tout son temps avec Kâli. Il ne devait sûrement pas éprouver les mêmes sentiments qu'elle à son égard...


Elle n'avait pas envie de rentrer à la maison ce soir là. Pour quoi faire? Elle n'avait envie de voir ni de parler à personne. Être seule, cela lui allait bien... Personne ne la jugerait ou ne lui poserait de questions embarrassantes. Oui, c'était mieux ainsi...

Qu'allait-elle pouvoir faire lorsqu'elle se retrouverait face à Akin, maintenant qu'elle avait pris conscience de ses sentiments?

Elle se rendit au temple pour se recueillir. Elle n'était jamais venue très souvent par ici, mais elle sentait qu'elle en avait besoin à présent. Elle était seule, voilà qui était bien mieux... Un instant, elle tenta d'oublier son coeur endolori.


Elle alluma un bâton d'encens et se mit à faire une longue prière. Les esprits ne verraient aucun inconvénient à ce qu'elle passe la nuit ici, ou tout du moins, une partie de la nuit. Elle ne se sentait pas le courage de rentrer encore à la maison, et puis, le chemin était long jusqu'au village qui se trouvait au pied du volcan. Elle avait grimpé pendant plusieurs heures avant de se retrouver dans la deuxième partie du village, et descendre lui prendrait du temps et des forces.

"Merci Grands Esprits, de me laisser me reposer sous votre toit... murmura-t-elle."


Elle rentra à l'aube, épuisée.

Ayant entendu du bruit dans la maison, Kâli s'était levée et était descendue dans la cuisine pour voir qui était là. Elle fut soulagée d'y trouver sa soeur.

"Târâ! Mais où étais-tu! On t'a attendu pour manger et tu n'es pas venue, on s'inquiétait!
-Je suis là, tout va bien...
-Mais où étais-tu? Tu aurais pu prévenir...
-Désolée. Je n'y ai pas pensé."

Târâ termina son assiette, puis s'excusa auprès de sa soeur.

"Excuse-moi je suis fatiguée... Je vais aller me coucher."


Kâli la laissa partir, sans rien pouvoir faire pour le retenir. Peu de temps après, Akin arriva et elle l'emmena au jardin.

"Tu n'as pas très bonne mine dis moi!
-Je m'inquiète pour Târâ... Elle n'est pas rentrée de toute la nuit, et elle n'a pas voulu me dire où est-ce qu'elle se trouvait.
-Je croyais qu'elle se sentait mieux ces derniers temps.
-Moi aussi... Mais il faut croire que non. Je ne comprends pas... D'habitude, elle me dit tout, et là... Je vois bien que ça ne va pas, mais je ne sais pas pourquoi. Qu'est-ce que je peux bien faire pour elle? Tu ne voudrais pas aller lui parler, toi?
-Moi?"

Akin la regarda, surpris.


"Je me disais que peut-être... Elle a l'air de t'apprécier, tu ne peux pas dire le contraire. Tu as l'air de connaître sa musique mieux que nous tous.
-Mais elle n'est pas aussi proche de moi qu'elle l'est de toi! S'il y a quelqu'un à qui elle peut se confier, ce n'est que toi Kâli.
-Alors pourquoi ne veut-elle rien me dire? C'est comme si elle m'évitait. Et ça me rend triste..."

Akin secoua la tête.

"Je veux bien essayer, mais je ne te promets rien.
-Tu es tellement gentil, merci Akin!"


Târâ ne vint pas les voir lorsqu'elle se réveilla en fin de matinée. Elle ne s'était jamais levée aussi tard, et après avoir enfilé sa robe, elle se rendit rapidement auprès de son clavier. La musique lui avait manqué, elle n'avait pas du tout joué la veille à cause de son excursion... Il ne fallait plus qu'elle parte aussi loin.

Lentement mais sûrement, la musique vint calmer son coeur en feu. La mélodie qu'elle jouait était triste et mélancolique, exactement ce qu'elle ressentait en elle. C'était bon de pouvoir extérioriser ce qu'elle ressentait, c'était une façon pour elle de faire partir la douleur et la tristesse.

Mais pour combien de temps?


A peine cessa-t-elle de jouer qu'elle se sentit à nouveau mal.

Sous la douche, elle tentait de cacher ses larmes sous l'eau qui coulait sur son visage, mais quand bien même personne ne verrait ces sanglots, elle ne pouvait se mentir à elle-même. Elle pleurait. Elle pleurait d'amour. Un chagrin qu'elle ne savait pas comment apaiser...

Elle essaya de se débarrasser de ce trop-plein d'eau en elle. Personne ne pouvait l'entendre sangloter à cause du débit d'eau, et personne ne pouvait la voir. Il fallait profiter de cette occasion...

Lorsqu'elle éteignit la douche, elle attendit un moment avant de se rhabiller. Si elle sortait maintenant de la salle de bains, il était fort probable que tout le monde voit ses yeux rouges. Non, mieux valait attendre de s'être totalement calmée...


Elle retourna ensuite à son clavier. Elle commença par quelques notes de musique nostalgiques, et revint dans des accords un peu plus calmes et doux.

Elle ferma un instant les yeux, et se laissa porter par la mélodie. Se laisser bercer et emporter par la musique, elle avait toujours aimé cela... Depuis toute petite, elle adorait ne rien faire d'autre qu'entendre et écouter la musique. Et mieux encore, maintenant elle était capable de produire sa propre musique. Avec elle, peut-être s'en sortirait-elle?

Quelqu'un entra dans la pièce, et elle se crispa soudainement. C'était Akin, elle en était certaine... Il était là, dans son dos. Mal à l'aise, elle quitta précipitamment son instrument et changea de pièce avant qu'il ne puisse l'interpeller.


Elle se réfugia à la cuisine. Il n'était plus question de jouer de la musique dans cette pièce, mais elle avait suffisamment joué pour le moment...

Elle sortit son calepin et un crayon de papier. Ecrire, oui... Ecrire pour ne plus penser à autre chose.

Alors qu'elle pensait être seule et enfin tranquille, ce fut au tour de Kâli d'entrer dans la pièce, et de s'asseoir en face d'elle. Târâ ne lui laissa même pas le temps d'ouvrir la bouche qu'elle s'écria:

"Mais qu'est-ce que vous avez tous aujourd'hui! Est-ce que vous ne pouvez pas me laisser un peu tranquille pour une fois?! J'en ai marre, j'en ai marre de vous tous!"

Elle envoya ses affaires en l'air, et sortit en furie de la maison.


Cette fois-ci, elle marche simplement jusqu'au pont qui traversait le grand fleuve. Elle s'était promis de ne plus partir trop loin... Les eaux étaient si calmes comparé à elle. Elle sentait sa tête enfler et enfler, la migraine revenait, mais il lui était impossible de se calmer.

Elle avait envie de s'arracher les cheveux. Se frapper, se donner des baffes. Extérioriser la douleur qui se faisait de plus en plus intense en elle. Pourquoi?! Pourquoi!! Ce mot, cette question qui tournait en boucle dans sa tête. Pourquoi fallait-il souffrir autant?! Ni Kairos, ni Kâli ne souffrait par amour! Au contraire, ils avaient l'air les plus heureux du monde!

Les mains sur chacune de ses tempes, elle commença à prendre de longues poignées de cheveux entre ses doigts, lorsqu'elle entendit son prénom.

"Târâ!"

Elle sursauta en se retournant.


"A... Akin?!"

Elle tenta de reprendre son souffle, ses accès de colère l'avaient mise dans tous ses états, et ses cheveux étaient en bataille.

"Je t'ai vue partir au loin, et je t'ai suivie, excuse-moi. Kâli se fait beaucoup de soucis pour toi."

Târâ lui jetait des coups d'oeil timides, elle avait du mal à soutenir son regard, surtout maintenant qu'elle savait pourquoi. Il s'arrêta à une bonne distance d'elle, la voyant mal à l'aise.

"Je sais qu'on se connaît pas depuis très longtemps, mais... tu peux te confier à moi, si ça ne va pas."


La jeune femme se mordit les lèvres. Se confier à lui? Mais pour lui dire quoi? Lui avouer ses sentiments? C'était complètement stupide! Il était heureux avec Kâli, que ferait-il avec elle? Elle n'avait rien à espérer, strictement rien...

"N...Non! réussit-elle à répondre. Non, je n'ai rien à te dire!
-Tu n'as rien à dire à personne?
-Non, rien!"

Akin se contenta de soupirer. Celui qui pourrait consoler Târâ ne semblait pas encore né. Elle était si renfermée sur elle-même, que peu importait la façon dont on l'abordait... Elle se refermait instantanément. Et il trouvait ça franchement dommage pour une jeune femme aussi douce et intéressante qu'elle.


Il baissa les yeux en se rapprochant d'elle.

"C'est dommage, Târâ... Tu ne sais pas ce que tu manques. Tu es en train de gâcher ta vie, tu te fermes à tout le monde... Même à ta soeur, alors que vous étiez si proches toutes les deux. Elle se sent délaissée, tu ne lui parles plus...
-Tu crois vraiment que c'est elle qui souffre le plus? Tu parles de choses dont tu ne connais rien! C'est moi, c'est moi qui suis seule...
-Qu'est-ce que tu racontes? C'est toi qui refuses de lui parler. Et même, depuis plusieurs jours, tu m'évites."

La jeune femme sentait les larmes lui monter aux yeux. Il semblait si près de la vérité, et en même temps si loin... Pouvait-il avoir deviné? Non, c'était impossible!


Les larmes commencèrent à affluer sur son visage. Elle était incapable de les contenir en elle, c'en était trop. Cela faisait des heures, des jours qu'elle se retenait. Elle n'en pouvait plus... Etait-ce trop demander, rien qu'un peu de bonheur?

Akin la prit dans ses bras. Quelques jours plutôt, Târâ en aurait rêvé. Seulement, elle sentait bien qu'il la serrait contre elle comme on pouvait serrer une soeur dans ses bras... C'était là tout ce qu'il ressentait pour elle. L'amour d'un frère?

"Allons, ne pleure pas... Parle-moi. Parler est ce qui peut nous faire le plus grand bien, tu sais.
-Je... Je ne sais pas! Qu'est-ce qui ne va pas chez moi? Pourquoi est-ce que je suis si différente?
-Tout le monde est différent. Tout le monde est unique, c'est normal...
-Non! Je ne parle pas de ça!"


Elle essaya de se dégager de son étreinte, mais il la retint pour l'empêcher de s'enfuir une nouvelle fois.

"Parle-moi, Târâ! dit-il d'une voix dure. Qu'est-ce qui te tracasse tant?!
-Non! Non je ne veux pas!
-Pourquoi?! De quoi as-tu peur?! Franchement, tout le monde ne cherche qu'à t'aider! Pourquoi refuses-tu d'avoir des amis, une famille qui puisse être là pour toi?
-Je ne peux pas Akin! Je n'ai pas le droit d'être heureuse, non!
-Pas le droit d'être heureuse? Qu'est-ce que tu racontes! C'est complètement stupide. Tout le monde a le droit de connaître le bonheur. Il suffit simplement d'aller le chercher. Si tu te contentes de rester là les bras croisés et de pleurer sur ton sort, alors c'est sûr que tu ne le connaîtras jamais!"

Ses mots la traversaient comme des flèches, mais il ne voulait pas la lâcher.


"J'ai essayé! J'ai essayé d'aller le chercher ce bonheur, mais je ne peux pas!
-Pourquoi?
-Parce que... Parce que... si j'essayais d'aller plus loin, je tomberai d'encore plus haut! Je serai encore plus malheureuse!
-Qu'est-ce que tu racontes?"

Târâ secoua la tête, elle avait l'impression de se retrouver dans une impasse. Ne pouvait-il donc pas la laisser en paix? Lui qui avait commencé à hanter ses nuits?

"Il... Il y a cet homme du village... qui ne vit pas très loin de chez nous...
-Qui ça?
-Un homme du village, répéta-t-elle."


Elle se retourna pour lui faire face, mais elle se sentit à nouveau défaillir face à lui. Oh pourquoi, pourquoi n'avait-elle pas pu tomber amoureuse d'un homme qui l'aimait!

"C'est un homme qui... un homme que... que j'aime, avoua-t-elle la gorge serrée. Seulement... je sais que mes sentiments ne sont pas partagés. Et je ne comprends pas, parce que Kairos est tellement heureux, et toi avec Kâli, vous êtes tellement contents d'être ensemble! Pourquoi est-ce que moi non plus je n'aurai pas le droit de connaître ce bonheur?
-Tu lui as demandé?
-Demandé?
-S'il t'aimait.
-Mais... il est déjà avec quelqu'un d'autre! Ce qui veut dire qu'il est amoureux d'une autre fille! Et pas de moi... Moi qui aies toujours été la dernière de la classe, la fille bizarre qu'on regardait de travers parce qu'elle ne savait pas bien parler, qui voudrait de moi dans de telles conditions?!"


La jeune femme se mit à sangloter de plus belle.

"Tu finiras bien par trouver quelqu'un qui te mérite, déclara Akin dans le but de la consoler.
-Tu crois vraiment?! Mais c'était lui... c'était lui que j'aimais... C'est... lui... C'est..."

Un rire nerveux s'échappa de ses lèvres. Elle se sentait complètement à bout, épuisée par toutes les larmes qu'elle avait versées jusqu'à présent.

"Je suis désolée Akin... Vraiment désolée pour tout ça...
-Ce n'est rien. Allez viens, rentrons...
-Non, je ne veux pas... Je suis... désolée... désolée de t'aimer si fort..."


Son coeur fit un sursaut dans sa poitrine lorsqu'elle prononça ces terribles mots. Comment avait-elle pu les laisser s'échapper! C'était sûr à présent, il allait la détester, il allait emmener Kâli au loin avec lui, il allait s'éloigner d'elle... Elle devait lui faire peur, comme à tous les autres hommes...

Pourtant, contre toute attente, elle le sentit qui lui relevait le menton. Interdite, elle le vit s'approcher, et le sentit coller sa bouche contre la sienne.  Les lèvres serrées l'une contre l'autre, elle comprit que c'était sa langue à lui qui essayait de séparer ses deux lèvres rosées.

Il essayait de l'embrasser.


2 commentaires:

  1. maeleo11/12/15

    Je me doutais bien qu'Akin plaisait à Târâ, mais j'aurais jamais cru qu'il essayerait de l'embrasser ! Ça va pas arranger les choses tout ça...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. le tout est de savoir comment elle va réagir!

      Supprimer