25.11.15

Episode 65: Le rossignol


"Pierre, papier, ciseau! ....Pierre, papier, ciseau! Encore gagné!! Je suis trop forte!
-C'est qu'une question de chance de toute façon!
-Peut-être, mais j'ai gagné toutes les parties! C'est à moi de jouer avec Zébulon!
-Pfff, bon d'accord..."

A regrets, Kairos laissa sa soeur monter le petit zèbre en bois. C'était un jouet très prisé, et il jouait souvent le droit de s'en servir avec sa soeur, car ils voulaient y jouer en même temps. Kâli n'eut cependant pas beaucoup de temps pour en profiter, car le dîner était bientôt prêt.

"A table! leur cria Ika en goûtant la sauce des pâtes en train de cuire."



Les deux enfants se précipitèrent à table, aux côtés de leurs parents. Târâ avait été installée dans la chaise haute, et ils se retrouvaient tous ensemble à cette heure de la journée: c'était le moment idéale pour discuter.

Kairos et Kâli racontaient généralement leur journée à l'école, et Ika et Luhan prenaient toujours soin de s'intéresser à leurs devoirs. Târâ les écoutait attentivement, et il semblait toujours qu'elle fasse des progrès en entendant sa grande soeur parler de tout et de rien. Ni Kairos, ni sa mère ou son père n'étaient parvenu à lui faire prononcer ne serait-ce qu'un seul mot, seule Kâli pouvait se vanter d'un tel succès.

Aussi, sans pour autant la surcharger, Ika lui avait gentiment demandé de passer du temps avec sa soeur, pour qu'elle puisse apprendre à parler correctement.


Ika s'inquiétait à son sujet, même si pour Luhan, le plus important était d'être en bonne santé, et Târâ n'avait aucun problème de ce côté-là.

"Elle n'est absolument pas autonome Luhan...
-Ça viendra, elle est juste plus lente que les autres.
-C'est ce que j'essaie de me dire, mais à son âge, elle devrait quand même savoir plus de choses, et elle parle à peine! Ce sera difficile pour elle d'aller à l'école, à moins d'une progression extraordinaire!
-Nous aviserons quand les choses se présenteront. Elle évolue dans une famille aimante pour le moment, c'est tout ce qui compte!
-Tu dois sans doute avoir raison..."


Après la classe, Kairos et Kâli aimaient passer un peu de temps dehors à jouer au ballon. L'école possédait un petit ballon rond, ainsi qu'une grande cage à laquelle était accrochée un filet. C'était parfait pour se dépenser et mettre à rude épreuve sa compétitivité.

"Tu es prête Kâli?
-Vas-y tire!
-Je ne te ferai pas de cadeaux, attention!
-Tire au lieu de parler!"

Kairos se concentra, Kâli avait déjà stoppé plusieurs de ses tirs, elle était vraiment douée et avait de bons réflexes lorsqu'il s'agissait d'arrêter un objet passant près d'elle.


Kairos finit par tirer, mais, malheureusement pour lui, Kâli avait eu tout son temps pour anticiper l'arrivée du ballon, et elle l'attrapa avec une facilité déconcertante.

"Ouiiiiii j'ai gagné!!
-Pfff c'est pas juste tu gagnes toujours!
-C'est parce que tu es trop long à te décider, j'ai tout mon temps pour savoir dans quelle direction tu vas tirer! Allez ne boude pas, je vais t'expliquer comment je fais!
-Chouette! Je n'aurai plus qu'à m'entraîner sur papa, il n'est pas très fort pour jouer au ballon...
-Haha, moi aussi j'ai remarqué!"


Mais l'école et le sport ne lui posaient aucun problème particulier, ce n'était pas ce qui intéressait le plus la petite Kâli. Tous les jours, elle observait discrètement sa mère concocter divers remèdes, et l'espoir secret de s'essayer elle aussi à l'art difficile de la médecine avait germé en elle.

Voir sa mère déchiffrer des recettes, plonger les ingrédients dans le chaudron d'eau bouillante, pour finalement remplir des petites fioles l'émerveillait, d'autant plus qu'elle savait l'usage de ces potions.

Un jour, elle se lança et demanda à sa mère de lui enseigner ce qu'elle savait.

"Maman? Tu m'apprends à préparer des remèdes?
-Tu voudrais que je t'apprenne à devenir guérisseuse?
-Oh oui, s'il te plaît!"


Ika se retourna vers sa fille.

"Tu sais, c'est un métier qu'il ne faut pas prendre à la légère, et qui est très difficile... Il ne faut pas se tromper dans les ingrédients, les dosages, les températures d'ébullition... D'autant plus qu'il y a des secrets à ne pas divulguer.
-Promis, je ne dirai rien à personne!
-Ecoute, je vais y réfléchir d'accord? Mais il faudra me promettre de continuer à bien travailler à l'école! En échange, je commencerai par t'apprendre à reconnaître les diverses herbes médicinales dans la nature, d'accord? C'est la base de tout, tu dois te constituer ta propre base d'herbes!"

Kâli sautilla sur place, tout excitée à l'idée d'en apprendre davantage sur ce que faisait sa mère.


"Nous commencerons plus tard! Je dois terminé les breuvages en prévision de la fièvre d'été, à chaque fois, c'est une épidémie au village.
-D'accord! Merci maman!"

Ika retourna à sa préparation, qu'elle devait surveiller minutieusement. Kâli venait de soulever une question importante: le village avait constamment besoin d'un guérisseur, et la guérisseuse actuelle n'avait pas l'ombre d'un apprenti. Elle avait toujours pensé qu'elle prendrait un enfant du village pour la seconder puis la remplacer le moment venu, mais maintenant qu'elle avait des enfants... Kâli semblait vouloir prendre la relève. Il lui faudrait donc s'assurer qu'elle prendrait pleinement sa place une fois sa formation terminée.


La fillette était retournée auprès de sa soeur qui chantait gaiement une vieille comptine.

"Oh, comme c'est beau ce que tu chantes Târâ!"

Kâli vint l'applaudir et la serra contre elle. Si sa petite soeur avait quelques difficultés d'apprentissage, elle chantait cependant merveilleusement bien, sans aucune fausse note.

"Comment ça s'appelle ce que tu chantes?
-Chanson... Chanson rossignol!
-Oh, la chanson du rossignol! Elle est très belle."

Le plus étonnant était sans doute que Târâ n'éprouvait aucune difficulté de diction lorsqu'elle chantait, alors que parler lui demandait beaucoup plus d'efforts.


"Maman, tu as vu comme Târâ chante bien?
-Oui, je l'ai entendue l'autre jour. C'est étonnant n'est-ce pas? Alors qu'elle a tant de mal à parler quand il ne s'agit pas de musique.
-Peut-être qu'elle pourrait apprendre à parler comme ça!
-Qu'est-ce que tu veux dire?
-Je peux lui apprendre tout en chantant!
-Ce serait une tâche bien difficile tu sais. L'ancienne du village m'a dit qu'elle souffrait certainement d'un retard cérébral... Alors, je ne sais pas si on pourra faire quelque chose pour elle. Il se peut qu'elle n'apprenne rien de plus de toute sa vie...
-Oh... Mais je peux quand même essayer?
-Bien sûr, si le coeur t'en dit de jouer les professeurs! Mais ne force pas trop, tu sais aussi qu'elle est émotionnellement fragile."

Kâli acquiesça, pleine de maturité pour son âge.


En ramassant le linge, la mère de famille se sentit légèrement inquiète. Que deviendrait Târâ si elle n'était pas capable de s'occuper d'elle-même? Elle n'était encore qu'une enfant, mais en grandissant... Ses parents ne vivraient pas éternellement. Kairos et encore plus Kâli semblaient aimer prendre soin d'elle et la protéger, mais serait-ce toujours le cas dans quelques années?

Rien n'était sûr, et elle ne voulait pas que son enfant ne finisse seul sans personne pour passer du temps avec elle.

"Maman! Jolie maman que j'aime!"

Le coeur d'Ika fit un bond. Etait-ce Târâ qui venait de chanter ainsi...? Elle se précipita dans la chambre pour constater que oui. Kâli faisait des prouesses avec sa méthode de chante... Jusqu'où pourrait-elle aller?


"Et alors, c'est à mon tour! Allez s'il te plaît!"

Kairos se pliait encore en quatre pour avoir droit de monter Zébulon. Qu'il était loin le temps où il pouvait profiter de ses jouets autant de temps qu'il le désirait! D'autant plus que Kâli en profitait, et qu'il était parfois obligé de courir en direction du zèbre à bascule lorsqu'elle était occupée avec Târâ.

"Non attends, encore quelques minutes! Maman a dit que j'avais le droit, tu n'as qu'à jouer avec les autres jouets en attendant!
-Mais je voulais Zébulon moi..."


Târâ continuait de s'améliorer et d'inventer de nouvelles mélodies sur son petit xylophone. Luhan ne se lassait pas de voir sa fille avec autant de grâce et de douceur au contact de la musique: elle était totalement différente de ce qu'elle pouvait paraître en temps normal.

Alors qu'elle était en train de répéter les mêmes notes de musique, il se mit à chanter:

"Chante, chante mon rossignol, Et un beau jour tu t'envole, Chante, chante mon fol ami, Car c'est ainsi la vie!"

Târâ se mit à l'applaudir, et il fit de même pour saluer son accompagnement musical.


Les deux aînés travaillaient dur à l'école. La maîtresse avait essayer de les contenir, tout en satisfaisant leurs besoins d'apprendre. Elle avait concocté un programme spécial pour qu'ils ne s'ennuient pas en classe: ils dépassaient les autres élèves en capacité, et de très loin.

Même si Kairos avait commencé l'école depuis plus longtemps que sa soeur, il leur arrivait parfois de faire leurs devoirs ensemble.

"On ira jouer au ballon après?
-Oh oui! Attends, je me dépêche de terminer mon exercice..."


"C'est demain qu'on apprendre le jardinage?
-Je crois que c'est ce qu'a dit la maîtresse. Elle va nous emmener au champ, c'est génial! Maman ne nous a jamais laissé y aller!
-C'est normal, avec tes gros pieds tu aurais écrasé toutes les plantes!
-Méchante! J'aurais fait attention bien entendu.
-Non tu es trop maladroit! Je le vois bien quand on joue au ballon..."

Kairos lui tira la langue, même si au fond de lui, il savait bien que sa soeur devait avoir un fond de vérité.


Ils passèrent donc la fin d'après-midi à jouer au ballon. Comme elle le lui avait promit, Kâli tentait d'apprendre à son frère à viser, mais aussi à jouer rapidement et sans hésitation, ce qui était selon elle la clé de la réussite.

"Plus vite, plus vite...!!
-Oh non, encore raté!
-C'est pas grave, on recommence! Comme le dit la maîtresse, il faut persévérer pour réussir."

C'était la première fois que Kairos avait du mal à apprendre quelque chose, et il se rendait compte qu'on ne pouvait pas exceller en tout. Si son cerveau lui permettait de grandes choses, il semblait que le sport en ait décidé autrement.

"Mais toi tu y arrives tellement bien, pourquoi pas moi!"


La chaleur de Ziwa Bonde permettait aux plantes les plus fortes de vivre tout au long de l'année, cependant, les espèces animales que l'on pouvait rencontrer n'étaient pas présentes tous les mois. Aussi, Ika devait profiter de chaque moment de l'année pour attraper les papillons et autres insectes nécessaires à ses préparations.

Elle devait cependant faire attention, et choisir soigneusement ses spécimens. Si elle en capturait trop, ils risquaient de ne plus pouvoir se reproduire, et alors, il n'y en aurait plus du tout dans la région, ce qui serait une véritable calamité pour la préparation de ses remèdes. Certains ne se concoctaient qu'avec les propriétés de certains animaux.


Pour Ika et Luhan, le temps passait et commençait à faire son oeuvre.

"Combien est-ce que ça fait de temps déjà qu'on s'est rencontré...? demanda-t-elle.
-Autant de temps que je suis arrivé dans ce pays merveilleux...
-Un pays merveilleux?
-Oui parce que je t'y ai trouvée, et je te rappelle que tu m'as sauvé la vie.
-Un si beau jeune homme comme ça, je ne pouvais pas ne pas le faire!
-Il est loin le temps du jeune homme...
-Bien sûr que non! Et puis tu as gagné en virilité!"


Târâ avait fini par acquérir totalement la marche, et elle parvenait même à courir à présent. Pour Kâli, c'était l'occasion de nouvelles heures de jeu. Elle s'amusait comme une folle avec sa petite soeur, les deux fillettes avaient des goûts très proches. Kâli était heureuse de pouvoir partager de nouvelles activités en sa compagnie, d'autant plus que Kairos commençait à se désintéresser des jeux qu'il jugeait trop enfantins.

"Touchée! C'est toi le chat Târâ! Il faut que tu cours, vite!
-Târâ court! Vite!
-Oui vite!"


Même si elle comprenait parfaitement ce qu'on lui disait, la fillette avait encore beaucoup de mal à s'exprimer, et son langage se rapprochait de celui d'un bébé. Elle parvenait cependant à se faire comprendre, et c'était le principal, elle n'en était plus à babiller ou pleurer pour demander quelque chose.

Le plus inquiétant restait donc son intégration à l'école, et Kairos tentait de la rassurer à ce sujet, même si elle ne comprenait pas bien ce qu'était l'école.

"Tu verras, tout se passera bien!
-Mal?
-Euh... Non, l'école ne fait pas mal. Mais il y aura d'autres enfants, et la maîtresse va t'apprendre plein de choses! Tu verras c'est super!"


Târâ n'était pas sûre d'avoir compris ce que son frère attendait d'elle, aussi hocha-t-elle la tête comme elle avait vu faire sa mère de nombreuses fois, et elle afficha un grand sourire sur son visage. Kairos lui répondit de même, avant de faire une énorme grimace.

La fillette éclata de rire, elle adorait jouer avec les expressions de son visage, et voir les autres jouer à ce même jeu la remplissait de joie.

"Moche!! Haha!! Kairos!
-Si tu faisais la même grimace, toi aussi tu serais moche!!"


Kâli tournait de plus en plus autour du vieux livres poussiéreux de sa mère. Il lui tardait d'apprendre à fabriquer des remèdes, elle avait tant de fois regardé cet atelier dans l'espoir de pouvoir y toucher à son tour...

Mais Ika refusait catégoriquement qu'elle ne lise ne serait-ce qu'une ligne de l'ouvrage.

"Je ne veux pas que tu l'abîmes, il se transmet dans la famille depuis des générations! Ma mère me l'a donné, et sa mère avant elle, et la mère de sa mère... Toutes les recettes inventées depuis des siècles y sont inscrites, c'est très précieux! Et tu n'es pas encore prête, va donc arracher les mauvaises herbes de ta valériane."


Les bouches à nourrir étant plus nombreuses et les ventres plus affamés, Ika devait passer davantage de temps dans la cuisine pour les nourrir suffisamment.

"Manger! Manger!"

Târâ adorait passer du temps auprès de sa mère, surtout lorsque cette dernière était en train de préparer le repas. Les délicieuses odeurs qui s'échappaient de la casserole avait un effet stimulant sur elle, et Ika en profitait pour lui montrer comment éplucher et couper les légumes.

"Tu vois, ce n'est pas difficile!
-Facile!
-Oui, c'est facile!"


Enfin, Târâ gratifiait toujours sa famille d'un petit chante, d'un sifflement aussi mélodieux que celui du rossignol à la fin du repas autour duquel on se retrouvait.

Lorsqu'elle chantait, personne n'osait faire le moindre bruit, tant sa voix était douce et juste. Ses comptines étaient faites de phrases poétiques qui rimaient, et l'on se demandait parfois si Târâ comprenait ce qu'elle chantait, puisqu'elle était incapable de prononcer ces paroles sans la moindre musique.


1 commentaire:

  1. Les cheveux d'Ika s’éclaircissent, le temps passe trop vite D:
    J'adore Târâ, cette petite est juste trop mignonne et si innocente. J'aime beaucoup ces trois petits :3

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