Episode 49: Dehors

Luhan avait tellement grandi qu'il avait fallu se débarrasser de son petit berceau, et lui confectionner un sac de couchage. Marina s'était un peu inquiétée pour son confort, mais le petit garçon avait été ravi de savoir que tous les soirs, il pourrait dormir où  bon lui semblait.

"Je suis un nomade, je change de maison tous les jours!"

Ainsi, il aimait se glisser dans son sac de couchage en regardant le soleil se coucher, avant de s'endormir la tête pleine de couleurs.

"On dirait une palette de couleurs, c'est beau..."

Sa mère n'hésitait cependant pas à le réveiller: il n'était pas question de coucher à la belle étoile en cette saison.

C'était un petit garçon serviable, qui développait une passion commune avec son oncle: celle des poissons. Il aimait par dessus tout s'occuper de l'aquarium qui habitait la cabine de pilotage, leur donner à manger, nettoyer les vitres quand elles étaient sales... C'était ce qui occupait le plus ses journées.

"Doucement, tu mets beaucoup trop de nourriture! intervint un jour Malo.
-Mais ils ont peut-être très faim.
-Ils vont surtout se forcer à tout manger, c'est un instinct naturel. Et ce n'est pas bon pour eux, ils risquent de mourir d'une indigestion! Ils ont un tout petit estomac tu sais. Regarde, un tout petit peu comme ça, c'est suffisant."

Avec une infinie patience, Malo tentait de lui inculquer sa passion, et de lui apprendre à s'occuper d'autres vies que la sienne.

Et un beau jour enfin, Marina accepta qu'ils partent tous les trois en balade sur l'île.

"Youpiiii!!"

Luhan sauta partout: il était tellement heureux! Il n'avait jamais quitté le bateau de toute sa vie, et quand bien même il brûlait de partir à l'aventure, il n'avait jamais désobéi, et avait attendu patiemment son heure.

"Ne t'éloigne pas trop de nous surtout! lui conseilla sa mère. On ne sait pas sur quoi on pourrait tomber.
-Tout va bien, ne t'inquiète pas!"

Il foula une première brassée d'herbe qui lui chatouilla les pieds. C'était une sensation douce, contrairement au sable qui était plus dur, et beaucoup moins moelleux.

Il s'avança parmi les différentes plantes. Mis à part les algues et les plantes en pot de la maison, il n'en connaissait pas d'autres. Tout était si beau, si coloré, que Luhan ne savait plus dans quelle direction regarder. Au fur et à mesure qu'il s'avançait parmi la végétation, des odeurs différentes lui parvenaient également. Les embruns maritimes se faisaient moins forts, et des senteurs plus douces, plus fruitées et fleuries lui chatouillaient les narines.

Il se pencha tout à coup sur un gros champignon blanc, et le ramassa.

"Ouaaah!! Qu'est-ce que c'est que ça? Est-ce que ça se mange?"

Sans même attendre qu'on lui réponde, il ouvrit grand la bouche, prêt à croquer le chapeau du champignon.

"Luhan, non!!"

Le petit garçon sursauta, et le champignon tomba à terre. Marina courait vers lui, l'air à la fois furieux et inquiet.

"Mais qu'est-ce que tu fais?!
-Ben je...
-Tu l'as mangé?? Luhan réponds-moi, est-ce que tu l'as mangé?
-N...Non!"

La jeune femme posa une main sur son coeur, et soupira. Il ne manquait plus que Luhan fasse une intoxication. Elle secoua la tête, il fallait lui expliquer, lui qui n'avait connu que la sécurité du bateau. Elle le rassura en posant une main sur son épaule, il avait l'air effrayé.

"Ecoute-moi bien, Luhan... Tu ne dois pas manger les plantes que tu ne connais pas.
-Pourquoi? Il avait l'air bon!
-C'était peut-être joli et doux, mais ça ne veut pas dire que c'est bon pour l'estomac. Quand on ne connaît pas, on ne touche pas, c'est la règle pour vivre à l'extérieur, tu comprends?"

Luhan hocha la tête en signe d'affirmative. Il regarda autour de lui, et devait bien admettre que sa mère avait raison: il ne connaissait rien de tout ce qui l'entourait, et tout ne pouvait pas être inoffensif...

"Je ferai attention maman.
-C'est bien, tu me rassures. N'hésite pas à demander à tonton Malo, il en connaît beaucoup sur les plantes."

Devant eux s'étendait une plaine. Quelques buissons, parfois un arbre se dressaient au milieu de l'herbe bien arrosée par les derniers jours de pluie.

"Eh bien voilà... fit Marina en observant droit devant elle.
-On s'avance? proposa Luhan qui ne tenait pas en place."

Sa mère acquiesça, et ils s'avancèrent, se dispersant un peu.

"Ne t'éloigne pas! lui rappela Marina.
-Oui, j'ai compris!"

Le ciel était bleu, il ne faisait ni trop chaud, ni trop froid, c'était un temps parfait pour une petite excursion. De nombreux coquelicots avaient poussé par ici, ainsi que quelques fleurs un peu plus sauvages qui embaumaient l'air.

"Mmhm, qu'est-ce que ça sent bon!"

La jeune femme se permit de cueillir une fleur, quand bien même elle avait sermonné son fils avant la sortie, à propos de la nature, qu'il ne fallait pas la saccager, ni tout cueillir, parce que sinon il n'y aurait plus rien du tout. Une fleur, une seule, juste pour en respirer le parfum d'un peu plus près...

C'était une odeur divine.

"Une azalée. J'adore le parfum de ces fleurs..."

Le jeune garçon s'était approché doucement d'un bruit inconnu. Un petit cri aigu qu'il n'avait encore jamais entendu auparavant, et lorsqu'il dépassa une touffe d'herbe, il découvrit un petit animal brun avec une longue queue.

"Oooh... Maman! Tonton! Venez vite voir!"

Les deux adultes s'approchèrent en l'entendant, et découvrir eux aussi le petit animal.

"Je crois que c'est une musaraigne, fit Malo. Je crois l'avoir déjà vu dans un des livres de la bibliothèque à la maison.
-Elle est trop mignonne! On dirait qu'elle cherche à manger, elle a peut-être une famille à nourrir."

Après plusieurs minutes de marche, la plaine s'arrêtait soudainement une grande falaise abrupte.

"Fais attention Luhan, ça peut glisser... le prévint sa mère.
-Mais oui, cesse de t'inquiéter, tu vois bien que je vais bien!
-On ne sait jamais.
-Ta mère a raison. Il ne vaudrait mieux pas se rendre ici lors des jours de pluie, la falaise pourrait subir des glissements de terrain.
-Qu'est-ce que ça veut dire?
-Eh bien ça veut dire que des morceaux pourraient d'effondrer. La falaise est haute, je n'ose pas imaginer si l'on tombait d'ici..."

Luhan se pencha un peu plus pour regarder le vide. Ce n'était effectivement pas ce qu'il y avait de plus raisonnable à faire, de tomber d'ici.

Sagement, ils cherchèrent puis empruntèrent un autre chemin pour redescendre la plaine qu'ils avaient gravie. C'était beaucoup plus rapide de descendre heureusement, et en suivant le chemin sablonneux, ils parvinrent dans une petite crique .

La falaise la tenait bien abritée et à l'ombre, ils n'avaient donc pas à craindre les coups de soleil.

"On se baigne? proposa Malo.
-Oh oui!!"

Luhan dévala vers le bord de l'eau, se changea et commença une bataille d'eau avec son oncle. Marina, plus posée, les suivit tranquillement tout en continuant d'observer les environs.

La jeune femme les observa jouer ensemble un moment, avant d'entrer à son tour dans l'eau. La température était encore fraîche mais idéale, et elle fit quelques brassées en direction du large. Elle regarda son fils jouer avec son oncle, et sourit. Elle était heureuse qu'ils s'entendent si bien, et la présence de Malo remplacerait sans doute le père que Luhan n'aurait jamais.

Tandis qu'elle se faisait ces réflexions, il se mit à pleuvoir. Elle sortit rejoindre sa famille et proposa de rentrer.

"Oh non! fit Luhan. On est déjà mouillé de toute façon!
-Rentre, je reste encore un peu avec lui, proposa Malo."

Marina prit donc le chemin du retour seule. A la maison, elle profita du fait d'être seule pour opérer quelques travaux dans la maison: il fallait renforcer la plomberie et la tuyauterie, pour ne plus avoir de fuites incessantes. Comme il n'y avait personne d'autre, elle pouvait donc aisément couper l'eau et faire les travaux nécessaires.

"Voilà... On n'aura plus de problèmes comme ça! Espérons que ça tienne bien."

Elle donna quelques coups de clé à molette supplémentaire, et se frotta les mains d'un air satisfait.

Pour ne pas tomber malade, Luhan et Malo s'étaient rhabillés. Ils étaient retournés à la maison, d'où Malo avait sorti deux cannes à pêche;

"Est-ce que tu aurais envie de pêcher un peu avec moi? demanda-t-il à son neveu.
-Oh oui! Ce serait trop bien!
-Parfait! Je vais t'initier à l'art de la pêche, à la patience infinie dont il te faudrait faire preuve, et à la dextérité nécessaire pour remonter tes prises!"

Ils s'installèrent à quelques pas du bateau, là où les remous n'étaient pas trop forts.

"Comme ça?
-Oui très bien! Mais ne remue pas trop le fil maintenant, où les poissons vont fuir."

"Alors, vous avez eu de belles prises?"

Marina s'intéressa beaucoup à leur petite activité de fin de journée.

"Oui plutôt! Luhan a attrapé plusieurs anchois, et même une méduse!
-Oh bravo mon chéri!
-Elle n'était pas se petite que ça ma méduse en plus, j'ai du tirer fort pour la remonter! On pourra la mettre dans l'aquarium?
-Bien sûr! Mais à ce rythme-là, il va nous falloir un second aquarium pour nos plus belles prises, il ne faut pas qu'ils vivent trop les uns sur les autres."

Dans les jours qui suivirent, le temps oscillait entre soleil et pluie, preuve que l'automne était là, et que la mauvaise saison n'allait pas tarder à venir.

Luhan se précipitait pour jouer dans l'eau dès qu'un rayon de soleil se montrait: Marina ne voulait pas le voir mouillé quand il faisait trop froid, il profitait donc des rares occasions pour se faire plaisir. L'île regorgeait encore de secrets, mais pour le moment, il tenait surtout à jouer dans l'eau, et tentait d'apprendre à nager en compagnie de Malo et de sa mère.

"Bats plus fort des pieds! Plus vite!"

Il faisait d'excellents progrès, mais ce n'était pas encore tout à fait ça.

Mais le beau temps pouvait tout aussi bien s'en aller sans prévenir. Il fallait alors profiter du crépuscule pour sortir et vaquer à ses occupations. Cette partie de la journée était toujours la plus douce en temps et en température, tandis que le soleil rejoignait la ligne d'horizon.

Marina en profitait souvent pour s'isoler un peu, et faire de la planche à voile. Elle travaillait ardemment sur de nouveaux prototypes, qu'elle espérait finaliser bientôt: ils pourraient ainsi faire de longues promenades en famille, à survoler les vagues. Il ne manquait plus qu'à Luhan d'apprendre à nager.

"Luhan, il est l'heure d'aller au lit mon chéri!
-Il est quelle heure? demanda-t-il plein de curiosité. Dis tu m'apprendras à lire l'heure?
-Sachant que le soleil vient de disparaître derrière l'horizon, que la mauvaise saison arrive, je dirais qu'il est approximativement vingt-et-une heures. L'heure pour les enfants de monter se coucher!
-Un bisou d'abord!
-Bien sûr!"

Elle l'enlaça, l'embrassa, et il monta enfin se coucher, après un dernier au revoir à son oncle. Marina ne se souvenait pas avoir été aussi sage dans son enfance, et quand elle posa la question à Malo, il se fit la même réflexion.

"Pourvu qu'il n'ait pas une adolescence difficile! pria la jeune femme."

Mais Malo la rassura. Pour lui, Luhan était le centre d'attention du foyer, il avait ce qu'il voulait, on prenait soin de lui sans pour autant en faire un enfant gâté. Il y avait donc de grandes chances pour que tout se passe pour le mieux.

Il essora sa vieille éponge trouvée au fin fond de l'eau, puis frotta ardemment les parois de l'aquarium. Avec tous les poissons, il était essentiel de nettoyer leur environnement fréquemment, sous peine de les voir s'asphyxier dans leur propre milieu.

L'île regorgeait de vie animale. S'ils se cachaient lors du mauvais temps, ou lorsqu'on s'approchait trop près d'eux, certains n'étaient pas aussi farouches que leurs congénères.

C'est ainsi que Marina fit la connaissance d'un beau faucon, curieux de la voir à cet endroit.

"Bonjour toi... Qu'est-ce que tu fais ici?"

L'oiseau lui répondit par un drôle de cri qui la fit sourire.

"Moi je cherche des herbes médicinales, ça peut nous servir si on tombe malade. Tu n'aurais pas une idée?"

Elle tendit son bras, et l'oiseau vint s'y percher. Elle put le contempler dans toute sa splendeur, avant qu'il ne se décide à s'envoler, pour rejoindre sa famille, ou une nouvelle contrée.

"Au revoir, mon nouvel ami..."

Elle le regarda s'éloigner, jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un point à l'horizon.

Elle s'avança jusque de l'autre côté de l'île, lorsqu'une grande averse la prit de court: elle allait être trempée si elle ne faisait rien!

Elle leva les bras au-dessus de ses cheveux pour s'abriter et se mit à courir, jusqu'à ce qu'elle tombe sur un bâtiment qu'elle n'avait encore jamais aperçu.

"Un phare...?"

Perplexe, elle s'en approcha. La porte n'était pas fermée, et elle décida d'y entrer après mûre réflexion. Ce serait toujours mieux que d'être trempé...