3.9.15

Episode 41: Les cheveux blancs de l'hiver


Le soleil se couchait, et sans doute était-ce la dernière fois qu'il faisait voir ses rayons doux et chauds. La température s'était un peu élevée au cours de la journée, mais elle était tout aussi rapidement descendue en fin d'après-midi.

Marina rentrait à la maison, après quelques brassées dans l'océan. L'eau fraîche lui faisait du bien, et lui permettait de garder ses idées bien en place.

"Allez, c'est l'heure d'y aller... Maman va encore s'inquiéter sinon."

Avec un sourire, elle se souvenait de sa mère faisant les quatre cent pas, alors qu'elle avait un peu tardé à revenir.

"Stupide... Comme s'il pouvait m'arriver quelque chose."



Malo et Pacifique venaient tout juste de terminer un repas qu'ils avaient partagé. Cependant, ils n'étaient pas d'accord sur l'issue de ce repas:

"J'ai encore faim! s'exclamait Pacifique.
-Tu plaisantes! Si j'avalais encore une cuillerée de plus, je crois que je vomirais...! le contredisait Malo.
-Mais j'ai faim moi...
-Maman a dit qu'on n'avait rien d'autre pour le moment.
-Je sais... Elle doit partir en cueillette demain..."

Avec le gel qui arrivait, plonger devenait plus difficile, d'autant plus alors qu'elle passait beaucoup de temps à la maison.


Quand Marina foula le terrain de ses pieds nus, Océane l'attendait fermement.

"Oh mince..." songea-t-elle lorsque sa soeur jumelle s'avança vers elle.

"Ah tu es enfin là! Le soleil est presque couché, et maman allait commencer à ...
-Oui et bien, elle m'a donné la permission du coucher de soleil justement! Alors je peux bien rentrer à cette heure-ci, je ne vois pas où est le problème!
-Le problème c'est que tu étais absente toute la journée, j'ai du me farcir toutes les corvées!
-C'est pas comme si j'avais rien foutu non plus, je te signale!"

Et Marina n'était pas en tort. Son esprit en ébullition ne cessait de s'agiter au cours de ses journées, pour quelques projets secrets...


"Ne me fais pas rire... rétorqua Océane.
-Et bien ris si tu veux, mais c'est la vérité! Et maman me laisse faire, alors je ne vois pas de quoi tu te mêles!
-Elle est trop gentille avec toi! D'abord tu fiches la maison sens dessus dessous, et après il faudrait te laisser vagabonder?
-Maman aussi vagabondait, si c'est ce que tu veux dire!
-Oui mais...
-Tais-toi, j'en ai assez entendu! Ce n'est pas à toi de décider!"


Kiyo arriva avant qu'elles n'en viennent aux mains, et les sépara, les envoyant chacune au lit.

"Ah, les filles...
-Pourquoi elles n'arrêtent pas de se disputer? demanda Nérée au dîner.
-C'est compliqué tu sais. Elles ne sont pas d'accord, et elles veulent savoir qui a raison.
-Et perchonne n'a raigeon? fit Pacifique la bouche pleine, non rassasié par son premier repas.
-C'est ça oui.
-C'est triste, moi et Pacifique on s'entend bien pourtant! On ne se disputera jamais!
-Non, jamais!"


"Vous êtes des amours! Allez, c'est l'heure d'aller au lit pour vous aussi."

Ils l'embrassèrent, et se dirigèrent main dans la main vers la chambre.

"Si seulement les filles pouvaient à nouveau s'entendre ainsi..."

Elle sortit son petit carnet, puis un crayon. Il y avait quelque chose qu'elle voulait écrire depuis un bon moment, et le moment était peut-être bien choisi pour terminer tout cela... Et le faire lire à ses enfants.


Elle fut interrompue en fin de soirée par Malo, qui entra dans la cuisine.

"Malo? Mais qu'est-ce que tu fais debout! Il est tard, tu devrais déjà dormir...
-Oui, mais j'ai froid maman!
-Marina n'est pas au lit?
-Elle prend son bain.
-Elle saura donc te réchauffer quand elle viendra au lit. Je vais t'apporter une nouvelle couverture, couche-toi en attendant pour chauffer les draps."

Elle referma son calepin, et soupira. Elle n'était pas prête de terminer à ce rythme.


Le lendemain matin, Nérée eut la bonne surprise de se faire un nouvel ami:  un petit écureuil à la recherche de noisettes ou de glands tombés au sol.

"Ooh comme tu es mignon toi! Tu devrais te dépêcher de faire tes réserves... On n'a pas grand-chose nous, alors je ne peux rien te donner! Peut-être que je pourrais t'aider à creuser?"

Et il reposa son petit animal au sol, lui donnant quelques noisettes ou marrons trouvés sous un tas de feuilles mortes.


"Hé Nérée, viens!
-Qu'y-a-t-il?"

C'était son frère jumeau Pacifique, qui venait en courant vers lui. L'écureuil fut malheureusement effrayé, et grimpa tout en haut d'un arbre.

"Oh...
-Tu viens jouer? Maman nous autorise à aller dans la forêt!
-Oh génial!"

Et sans plus regretter son petit écureuil, Nérée se mit à la poursuite de son frère, en direction des plus grands arbres qui les entouraient.


Malgré l'approche de l'hiver, les eaux restaient poissonneuses, notamment près de la cascade au centre de l'île. Alexis en profitait pour passer de longues journées à pêcher: il suffirait ensuite de conserver les poissons dans des tonneaux de sel pour passer l'hiver en toute tranquillité.

Parfois, Océane venait lui donner un coup de main. Sa compagnie était agréable, c'était une jeune fille responsable, qui ne faillait jamais à son devoir. Elle était sérieuse, serviable, aux petits soins pour sa famille. Parfois, il en venait à se dire qu'elle oubliait de s'occuper d'elle-même, et qu'elle passait à côté du plus important...


Lorsqu'il revint ce soir-là, il fit part de sa bonne pêche à Kiyo.

"Je pense cependant que c'était la dernière fois que je pêche pour la saison... L'eau ne cesse de geler la nuit, et avec la température de cette nuit, la couche de glace qui recouvre l'eau ne craquera plus au petit matin.
-On a de bonnes réserves pour le moment... Avec Océane, on a aussi cueilli pas mal de fruits et légumes.
-Tout devrait bien se passer alors, non?
-Je l'espère! Je m'inquiète surtout pour toi, Malo et Marina... Si on venait à manquer de verdures, vous en souffririez beaucoup."

Alexis lui sourit: à ses côtés, il ne craignait rien!


Dans la salle de bains, il se pencha au dessus du vieux miroir qui ornait le mur. Le temps passait, il passait bien plus vite qu'il ne l'aurait cru...

"Pas trop mal..."

Malgré les cheveux blancs qui commençaient à s'éparpiller sur son crâne, sa peau restait encore jeune et pas trop ridée. L'idée de vieillir ne lui était jamais venue à l'esprit, mais c'était inévitable. Lui et Kiyo allaient finir par avoir les cheveux gris, et des plis disgracieux sur le visage. Ils avaient au moins la chance de pouvoir partager cette vieillesse qui pointait le bout de son nez, c'était un réconfort indéniable.


Pacifique puisa plusieurs feuilles de varech dans la réserve familiale.

"Qu'est-ce que c'est bon!
-Une dernière feuille et au lit! le prévint sa mère en passant derrière lui."

Là aussi, il avait fallu faire des réserves. Personne n'était sûr de pouvoir s'aventurer en pleine profondeur océanique pour cueillir les précieuses feuilles en plein hiver, elles qui étaient si chères à la santé et à la vie de la plus grosse partie de la famille.


Marina s'était une fois de plus isolée au bord de la mer, plus précisément à côté de la fontaine mystérieuse. Mais elle ne s'était pas installée pour réfléchir cette fois-ci: au contraire, sa mère lui avait confié un petit livre, couvert d'une écriture manuscrite.

"Tu le liras quand tu auras le temps..." lui avait-elle dit.

Alors elle l'avait emporté, et avait commencé à le lire.

Tout y était écrit. Absolument tout. Comment Kiyo avait mal vécu le fait d'être enfermé, l'éloignement d'avec sa soeur Luna, la mort tragique de cette dernière, la rencontre avec Alexis... C'était une histoire lourde de sens, triste, mais pourtant heureuse.


C'était le plus important: Kiyo avait fini par trouver le bonheur.

Marina s'approcha de la fontaine, un caillou dans la main.

"Moi aussi, je souhaite d'être heureuse... Je souhaite connaître le bonheur."

Elle lança alors le caillou dans la fontaine, et le regarda couler au fond de l'eau. Une question la taraudait: gâcherait-elle ses chances d'être heureuse, ou surmonterait-elle cette épreuve, si elle venait à perdre sa soeur, sachant à quel point leur relation s'était dégradée...?


Kiyo nageait aussi vite que possible, suivie d'Océane. Une envie irrépressible de nager au fond de l'eau l'avait sortie du lit, et sa fille avait insisté pour l'accompagner.

"On ramènera plus de varech comme ça!
-Merci, c'est gentil!"

Elle nageait, nageait. Pourquoi cet attrait soudain pour la mer? La mer, qui lui avait pris sa soeur tant aimée... Des papillons se mirent à danser devant ses yeux, et tout à coup, le noir.


"Maman? Maman?
-Euh... oui?"

Kiyo cligna plusieurs fois des yeux. Elles étaient arrivées à l'endroit de leur récolte sans qu'elle ne s'en rende compte. Que s'était-il passé? Avait-elle eu une absence sans qu'Océane ne le voit...?

"Je disais, on est arrivé!
-Ah, oui! Alors, euh... Moi j'irais par là, et toi de l'autre côté.
-Ça marche!"

Et elles se séparèrent.


Kiyo tenta de chasser le drôle de sentiment qui l'envahissait. Elle était fatiguée, voilà tout. C'était tout à fait normal, on était en pleine nuit! En pleine nuit, et en plein océan...


Une bonne surprise attendait les garçons le lendemain matin: une grande couche de neige épaisse recouvrait le sol, les feuilles des arbres, le bas des troncs.

"De la neige! C'est génial, j'ai toujours rêvé d'en voir! s'exclama Pacifique en courant dehors.
-Ne tombez pas malade, attention...! les prévint Alexis sans pouvoir les garder à l'intérieur."

Il allait falloir préparer des boissons chaudes pour leur retour.

Le petit garçon se contenta d'abord de faire des bonhommes de neige devant la maison, comme sa mère avait pu lui raconter que mamie Clémence le faisait.


Mais cela ne lui suffit bientôt plus, et il entraîna son frère jumeau aux abords du lac où ils piquèrent une tête.

"Elle est complètement froide!! s'écria Nérée en plongeant.
-C'est ça qui est génial! On est des tritons de la mer froide!
-Rien ne nous résiste! Le froid, on adore ça!
-Ouais!"

Leur caractère bien trempé et leur tête brûlée leur promettaient de belles aventures...


Marina et Malo avaient décidé de passer leur journée bien au chaud à l'intérieur. Leur personnalité plutôt calme les incitaient plutôt à jouer aux dominos, à papoter où à s'instruire, au lieu d'aller s'ébrouer dehors dans le froid et le vent.

"Alors, qu'est-ce que tu dis de ce tirage? demanda Malo.
-Pas terrible...! Tu es sûr d'avoir bien mélangé au moins!
-Evidemment! C'est toi qui m'as appris en plus, donc ne critique pas!"


La journée s'annonçait belle pour Marina. La jeune fille déjeuna une tranche de pain frais que son père avait cuit, accompagnée d'un peu de confiture.

"C'est délicieux... Il faudra que je me mette moi aussi à la cuisine!
-Ouais parce que c'est pas trop ça pour le moment! la taquina Malo."

A son tour, il partit se chercher un petit-déjeuner. Même si les ressources étaient comptées, leurs parents avaient bien insisté pour qu'ils ne négligent pas leurs repas, sous peine de maigrir et tomber malade.


Noé non plus n'aimait pas passer de longues heures dans la neige. Bien qu'il s'entende avec Malo et Marina, il n'aimait pas non plus jouer aux dominos, ou à un quelconque autre jeu qui lui semblait trop réfléchi et qui demandait un effort intellectuel trop fort.

Alors pour l'occuper, Alexis l'emmenait avec lui et lui racontait des blagues, des histoires que Noé adorait écouter et réécouter.

"Raconte-moi encore l'histoire de la sirène phosphorescente papa!
-Bien! Alors, en fait, elle brillait dans le noir, et..."


Un après-midi, Malo prit pourtant son courage à deux mains, et sortit malgré la neige qui tombait.

"Ne m'en veux pas si je ne t'accompagne pas... lui lança Marina en s'installant près de la cheminée avec un livre."

Malo lui fit signe de la main, puis partit en sifflotant de la maison. C'était agréable finalement de sentir la neige fondre sous ses pieds, et ce blanc si pur s'étendre à perte de vue.

C'est alors qu'il entendit quelqu'un répondre à son sifflement. Ou plutôt... un splendide perroquet aux couleurs éclatantes, à moitié enseveli sous la neige.

"Oh mon pauvre! Es-tu blessé?"


Il lui tendit son bras, et l'animal vint tant bien que mal sur lui. Il était maigre et semblait affamé: Malo n'hésita pas à la ramener à la maison.

"Je vais bien m'occuper de toi, mon petit Cuivre d'Or! Je vais bien te nourrir, et l'hiver n'aura pas raison de toi!"

Car l'hiver n'est pas toujours synonyme de fin, il peut aussi bien être le commencement d'une belle aventure...

2 commentaires:

  1. J'espère que pour Kiyo son absence est juste dû à un souvenir et pas à une maladie dû à l'âge.
    J'espère qu'il y aura assez de nourriture pour toute la famille. Au pire, ils pourront manger le perroquet. ^^

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